Critique objective de la croissance – Chronique n°22 : Les chemins de la résilience

Série : Critique objective de la croissance – Rubrique : L’impasse politique – Chronique n°22. Les chemins de la résilience

Support de débat pour la réunion du 26/01/2023 à 14h00 sur https://meet.jit.si/decroissance

Je vous propose aujourd’hui tenter de répondre à la question : face à la faillite économique, comptable, financière, sanitaire, alimentaire et culturelle de la société industrielle croissanciste qui semblent toutes inéluctables, pouvons-nous envisager une solution, ou tout au moins une forme de solution ? Le terme même de solution, pourtant, qui est d’essence purement mathématique, ne semble pas adapté au problème qui nous occupe dont l’essence dépasse largement les mathématiques. Ce terme de solution doit plutôt être remplacé par le terme adaptation, faculté dont nous avons indiqué précédemment qu’elle était la plus grande force du genre homo.

Il n’y aura donc probablement pas de solution, proprement dite, à l’impasse de la croissance, mais plutôt une adaptation et le rôle de la politique, telle que nous l’avons redéfini lors de la chronique précédente, devra être de proposer des pistes de réflexion et des infrastructures adaptatives.

Eh bien, cette démarche, qui consiste à proposer pistes de réflexion et infrastructures, a un nom : c’est la résilience.

Qu’est-ce que la résilience ? D’une façon générale, la résilience désigne la capacité pour un corps, un organisme, une organisation ou un système quelconque, à retrouver ses propriétés initiales après une altération et [cette définition générique est déclinée dans plusieurs contextes.

  • Ainsi dans l’aérospatiale, la résilience dénote la capacité d’un système embarqué à pouvoir continuer de fonctionner en mode dégradé et en milieu hostile.
  • En biologie, c’est la capacité d’un écosystème, d’une espèce ou d’un individu à récupérer un fonctionnement ou un développement normal après avoir subi une perturbation.
  • En physique, c’est une mesure de l’énergie absorbée par un corps lors d’une déformation.
  • En thermique, c’est la capacité d’un matériau à conserver une température dans la durée.
  • En psychologie, c’est un phénomène consistant à pouvoir revenir d’un état de stress post-traumatique.
  • En informatique, c’est la capacité d’une architecture réseau à continuer de fonctionner en cas de panne.
  • En gestion d’entreprise, c’est la capacité d’une organisation à s’adapter après la survenue d’un incident
  • .. et, bien sûr, en économie capitaliste, il est intéressant de remarquer que le terme de résilience est employé pour désigner la capacité à revenir sur la trajectoire de la sacro-sainte croissance après avoir encaissé un choc de récession.

Si nous comparons la définition générique, à savoir « la capacité d’une organisation à retrouver ses propriétés initiales après une altération » à la déclinaison capitaliste, à savoir « la capacité à revenir à la croissance après une récession », le contre sens de la seconde interprétation saute rapidement aux yeux.

Car l’altération de notre société, nous pensons l’avoir suffisamment démontré, c’est précisément la croissance et non pas la récession, récession qui n’est, elle-même, qu’une dérivée seconde du fait générateur premier, la croissance.

En réalité le capitalisme croissant confond cause et conséquence, ce qui, bien entendu doit être dénoncé au vu des enjeux considérables que cette confusion occulte.

La croissance exponentielle que notre société connaît depuis à peine deux cent ans n’est en réalité qu’une bulle civilisationnelle, une « grande parenthèse historique » qui contient en elle-même les ferments de sa propre clôture. Cette croissance n’est en réalité qu’une « excroissance » de la trajectoire humaine générée par notre prédation de la dot terrestre, prédation rendue financièrement possible par la création des lois permettant la création monétaire ex nihilo, mécanisme que nous avons déjà analysé dans les chroniques précédentes.

La juste interprétation de la résilience est donc toute autre que celle des croissancistes convaincus en proie au spectre de la récession, car l’expression retrouver ses propriétés initiales après une altération, signifie tout simplement retrouver les propriétés qui régissaient l‘économie humaine avant l’altération provoquée par la prédation illimitée de la dot terrestre, c’est à dire des ressources naturelles finies.

Ces propriétés reposent tout simplement sur la logique et le bon sens ancestral, à savoir celui consistant à utiliser les ressources naturelles uniquement dans la limite de leur renouvellement et dans le cadre d’une population humaine quantitativement adaptée à ce renouvellement.

Ainsi que l’a démontré NG. Roegen, et ainsi que nous l’avons largement exposé dans les précédentes chroniques, l’économie est dépendante de la biologie et de l’écologie. Chaque fois que l’homme utilise une ressource naturelle, énergétique ou minérale (pétrole, charbon, fer, cuivre, …), il augmente le niveau d’entropie de l’écosystème et par conséquent son instabilité.

Chaque fois qu’il transforme une ressource naturelle, par le biais de la métallurgie par exemple, il provoque la dissipation d’une partie de cette matière qu’il ne pourra plus jamais récupérer. Le recyclage lui-même est voué, à terme, à l’extinction, dans la mesure où il nécessite de l’énergie (elle même à vocation déclinante) et que la quantité récupérée est toujours inférieure à la quantité initiale, d’où une tendance finale irrémédiablement orientée vers l’extinction. Nous avons naturellement déjà vu tout cela.

La décroissance économique est donc inéluctable et, avec elle, le déclin de la société industrielle telle que nous la connaissons aujourd’hui. Les raisons en sont évidentes : la fin des réserves de pétrole, de charbon, de gaz, de fer, de cuivre, de zinc et de la plupart des autres éléments métalliques du tableau de Mendeleïev.

Resteront, certes, les ressources énergétiques inépuisables : le soleil, le vent et la gravité hydraulique, ainsi que les renouvelables, constituées globalement par la biomasse. Il est un fait certain que ces ressources seront toujours disponibles pour nous fournir une certaine quantité d’énergie indispensable à une économie humaine organisée. Mais il faut bien garder à l’esprit que nous devrons les mettre en œuvre sans avoir recours à l’utilisation conjointe des ressources matières finies, qui auront enfin justifié leur appellation puisqu’elles seront, à ce moment précis, très exactement finies. Ceci est un problème peu évoqué aujourd’hui, mais néanmoins fondamental.

Car il ne faut pas oublier que, pour faire fonctionner une économie humaine, même à bas régime, il faut disposer à la fois d’énergie « et » de matière. Car disposer de matière sans disposer d’énergie signifierait que nous serions obligés de travailler les métaux avec notre seule force musculaire. Et disposer d’énergie sans disposer de matière signifierait que nous serions tout simplement contraints de mener une vie végétative ou animale, ce qui somme toute serait encore mieux que pas de vie du tout, mais qui ne saurait constituer un objectif politique réellement mobilisateur.

Cette réduction de la disponibilité globale en énergie et matières premières physiques, qui va conférer un caractère inéluctable à la décroissance économique, sera sans doute progressive. La rapidité de cette décroissance sera fonction d’un ensemble de critères difficiles à pronostiquer, mais son impact sur notre mode de vie, c’est à dire finalement sur ce qui nous intéresse, sera directement lié à notre capacité de résilience.

Cette capacité de résilience, qui est globalement celle d’un organisme à résister à un choc et à s’adapter positivement au traumatisme qui va en découler, se traduit, dans le cas de figure qui nous intéresse, par la faculté d’adaptation au « choc » de la décroissance industrielle de façon « positive », et consubstantiellement par une adaptation, voire une transformation, de l’organisation sociétale d’un point de vue institutionnel.

Mais nous avons vu que la résilience c’est aussi, et dans le même temps, la capacité de ce même organisme à « retrouver ses propriétés initiales après une altération ». Et nous pouvons alors nous demander ce qu’il convient d’entendre par-là ….

En réalité, c’est très simple : il convient d’entendre par-là exactement le contraire de ce qu’entendent les représentants politiques actuels, c’est à dire que l’altération subie par la trajectoire humaine, se révèle être la croissance industrielle elle même, tout au long de son évolution depuis le milieu du dix-neuvième siècle, et non pas telle ou telle phase épisodique de récession intervenant à un instant « t » sur la courbe de son évolution.

Autrement dit, les représentants de l’oligocratie considèrent que la croissance industrielle, pourtant toute récente (170 ans sur 3 millions d’années, soit à peine 10 secondes de la vie humaine rapportée à 24 heures), constitue un axiome historique incontestable et une option économique qu’on ne saurait discuter. Bref, le système qu’ils ont installé à partir du milieu du dix neuvième siècle constitue, pour eux, une évidence aussi « limpide » que le soleil qui se lève à l’est, voire aussi péremptoire qu’une prescription divine.

Dès lors, nous comprenons que tout phénomène venant enrayer cette sacro-sainte croissance, ne puisse être jugé que comme une « altération » de la normalité, la résilience devenant le niveau de capacité à revenir sur le chemin de la croissance régulière, dans les meilleurs délais.

La bonne analyse est toute autre. Elle considère, au contraire, que le système industriel, tel qu’il a été mis en place par le régime politique oligocratique ayant remplacé la monarchie, constitue lui-même une altération de la trajectoire humaine.

Ce jugement n’est pas de nature subjective, contestant, par exemple, la valeur de la culture issue de l’installation de cette société industrielle. Il procède, au contraire, d’une stricte constatation comptable montrant que le système économique mis en place à partir de cette époque, est fondé sur des bases qui le conduisent immanquablement à la banqueroute.

Cette annonce de la faillite inéluctable du mode de faire valoir croissanciste pourrait s’accompagner, pourquoi pas, d’un éventuel procès que des citoyens éclairés pourraient engager à l’encontre de la société de la croissance, en mettant sur la sellette les multiples externalités toxiques de cette société de la croissance, comme par exemple la dégradation du mode de vie des individus, des pratiques relationnelles, de la qualité de la nourriture, de la pureté de l’air, etc… etc… Tous ces éléments peuvent naturellement faire l’objet de débats multiples, Mais, le vrai problème de fond n’est pas là !

Le véritable problème, c’est que c’est bien ce système politique oligocratique qui a installé une pratique économique éphémère et sans avenir, quels que puissent être les éventuels bienfaits ressentis momentanément par les usagers durant le cours de la période récente.

Ceci étant posé, nous devons maintenant nous poser la question : qu’est-ce qu’une trajectoire « normale » ? Et comment l’identifier ?

L’évidence, malheureusement perdue de vue par les damnés de la croissance, c’est qu’une trajectoire normale doit tout simplement respecter l’équilibre naturel, et notamment les lois de la biologie de la physique. Elle se matérialise donc par la mise en oeuvre d’une économie basée uniquement sur les ressources renouvelables. Les lois physiques issues du deuxième principe de la thermodynamique et du principe de l’entropie, montrent sans ambiguïté que tout prélèvement de la dot terrestre conduit immanquablement à terme à une déperdition définitive de la matière utilisée.

Par voie de conséquence, si cette matière n’est pas renouvelée par la nature elle-même, dans des délais compatibles avec l’échelle humaine, elle devient indisponible et l’industrie sur laquelle elle est fondée s’écroule.

La matière renouvelable à échelle humaine, par contre, reste disponible en permanence, dans la mesure, bien entendu, où le prélèvement humain ne dépasse pas son taux de renouvellement.

Mais le discours officiel, notamment porté par ceux qu’on nomme les écologistes de gouvernement, oublie toutefois de préciser une chose fondamentale : dans un système basé sur le renouvelable, on ne peut utiliser que des matériaux renouvelables pour construire les dispositifs de capture, c’est à dire des axes en bois, des courroies en cuir, des cailloux, du sable, de la sève d’hévéa, etc…

Exit par conséquent le fer, le cuivre, l’aluminium, le plastique, et toutes les terres rares qui constituent précisément la base des dispositifs de captures des énergies dites renouvelables, comme les panneaux solaires et les éoliennes.

Ce qu’il faut donc rajouter dans le maelström de la propagande oligarchique sur les énergies renouvelables, c’est le fait incontournable que pour être vraiment « renouvelable », une production d’énergie ne doit utiliser « que » des matériaux renouvelables (et pas des matériaux finis).

Cela paraît pourtant limpide, mais il faut croire que les mandataires de l’oligarchie ont intérêt à le dissimuler.

Reste le « simplement renouvelable », c’est à dire grosso modo la biomasse, autrement dit encore le système végétal et animal qui « croît », et se reproduit naturellement, sans avoir besoin de l’intervention humaine. Celui-ci peut fournir une dot gratuite permanente, sous la forme d’un accroissement annuel, représentant une quantité que l’homme peut prélever sans problème, sous réserve, naturellement, de ne pas prélever « plus » que cette quantité de « croissance naturelle » pendant la période considérée.

Cette option fondamentale est la seule option capable d’assurer une durabilité du système économique humain, et c’est l’option qui a prévalu jusqu’à la fin du dix huitième siècle, et avant la mise en place conjointe, complice et partenaire des systèmes oligocratique (au niveau politique) et capitaliste (au niveau économique) qui ont installé la société industrielle croissanciste, basée sur la consommation illimitée des ressources naturelles finies, et qui dont nous avons démontré qu’elle est engagée dans une voie sans issue. Une impasse !

Tel est donc l’état des lieux et les contours de la résilience que nous devrons mettre en œuvre pour les temps qui viennent.

Mais, il nous faut toujours revenir à nos deux questions initiales. Que faire ? Et Comment faire ? Et commencer à tracer des pistes pour l’avenir, mais les obstacles sont nombreux sur le chemin de la raison et c’est que nous verrons dans la prochaine chronique intitulée : Les forces contraires

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