Critique objective de la croissance – Chronique n°21 : Qu’est-ce que la politique ?

Série : Critique objective de la croissance – Rubrique : L’impasse politique – Chronique n°21. Qu’est-ce que la politique ?

Support de débat pour la réunion du 22/01/2023 à 17h00 sur https://meet.jit.si/decroissance

Nous avons donc vu, tout au long des 20 chroniques précédentes, que le chemin illuminé de la croissance n’était en réalité qu’une impasse obscure. Nous avons vu qu’au delà de la violation caractérisée des lois physiques et comptables, la croissance entraînait l’humanité dans une impasse sanitaire et alimentaire, et que les valeurs fondamentales de la société industrielle capitaliste constituaient toutes ensemble le creuset d’une véritable culture croissanciste, éclairant à peine cette impasse d’une lueur ténue.

Tout au long de ces chroniques, nous avons, certes, dévoilé le rôle du pouvoir politique en tant que maître d’oeuvre de la croissance, mais nous n’avons pas occulté non plus, l’adhésion massive des peuples à cette orientation tragique.

Alors, arrivé à ce stade de notre étude, deux questions se posent : Que faire ? et Comment faire ?

La question « Que faire ? » est relative à la nature même de l’impasse, d’une part, et à la proportion du chemin parcouru, d’autre part.

Pour ce qui concerne le premier paramètre, « la nature de l’impasse », c’est à dire en réalité la forme concrète que prendra, ou que pourrait prendre, son issue finale, nous ne pouvons imaginer que deux alternatives : soit, un bout de l’impasse matérialisée par un mur en forme de U, soit un bout d’impasse en forme de précipice.

Pour ce qui concerne le second paramètre, « la proportion de chemin parcouru », les alternatives sont multiples, dans la mesure où nous pouvons imaginer un nombre infini de points entre le début du chemin de la croissance (situé conventionnellement en 1850) et son terme qui, bien qu’étant certain quant à son existence, n’est pas connu quant à sa position exacte dans le temps.

Par ailleurs, ce paramètre s’inscrit dans une hypothèse plus large qui est celle de savoir si la société humaine choisira d’aller jusqu’au bout de l’impasse où s’il se passera quelque chose avant terme, sans que nous évoquions pour l’instant et à ce stade de notre propos la forme que pourrait prendre cet événement.

Afin de tenter de modéliser quelques scénarios prospectifs, nous nous attacherons d’abord à imaginer le cas où la société humaine choisirait de mener son chemin vers le terme de l’impasse, et qu’elle se trouverait alors dans l’une des deux alternatives que nous avons suggéré : le mur ou le précipice.

Le mur ou le précipice, il convient tout d’abord de préciser qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’indications suffisamment précises et convergentes pour que l’une ou l’autre de ces deux représentations puisse être privilégiée en terme de, comme dirait le GIEC, « plus forte probabilité que ».

Il n’empêche que ces deux types de « Dead Ends » sont loin d’être identiques en terme d’énoncé du problème à résoudre. Dans le cas du mur, en effet, la seule option possible, autre naturellement que celle du demi-tour, (option que nous étudierons plus tard, et dans un cadre d’ailleurs plus général), c’est naturellement celle de son abattage, option qui contient néanmoins deux inconnues de taille : celle de la résistance du mur comparée au niveau de la force mécanique (énergie + matière) disponible pour rendre possible sa démolition, d’une part, et celle de la configuration de ce qu’il y aura derrière, ce que personne naturellement ne peut pronostiquer.

Dans le cas du précipice, la situation est bien différente, puisque la troupe humaine verrait distinctement devant elle, la topographie du monde de l’après croissance qui s’offre à elle, mais sans pouvoir néanmoins y accéder. Et alors, selon que ce monde visible par delà le gouffre ressemble au mont riant de l’Olympe, ou, au contraire, au sombre cloaque de l’Hadès, les humains assemblés pourront être tentés de le franchir ou de faire demi-tour.

S’ils optent pour le franchissement, le succès de l’entreprise dépendra, tout comme pour le cas de figure du mur à abattre, des moyens et de l’ingéniosité mis en œuvre pour y parvenir au regard des dimensions de l’obstacle et de la force des vents contraires.

A la différence de la configuration murale, l’impasse précipicielle laisse toutefois une troisième option possible, autre que celles du demi-tour ou du franchissement, et c’est, vous l’avez deviné, celle du saut dans le vide, après que quelques meneurs aient montré l’exemple et que le troupeau entier ait suivi tels les moutons de Panurge, acte qui en langage humain s’appelle le suicide, et en langage ethnologique, très en vogue actuellement, l’effondrement, ou, encore plus savant, le collapse.

Voici donc pour ce qui est de l’énumération des différentes configurations possibles au terme de l’impasse, sachant que nous rangerons ces configurations dans la catégorie des options contraintes, ou, autre formulation, des options subies. Options ayant toutes en commun le fait que l’homo industrialis aura choisi d’aller jusqu’au bout de l’impasse, et qu’il se retrouvera, de ce fait, devant des alternatives ne dépendant plus de sa volonté ou de son libre arbitre, au sens de la capacité de construire lui-même son propre avenir.

Un deuxième type de modélisation part de l’autre hypothèse, celle où la cohorte humaine déciderait de faire demi-tour avant même que d’avoir atteint le bout de l’impasse, ce qui signifie, en regard de ce que nous venons de dire, que nous considérerions des options volontaristes entraînant des actions qui en langage humain relèvent de la survie et en langage ethnologique, d’un terme que nous suggérons, le constructivisme.

Dans ce modèle constructiviste, donc, le paramètre stratégique, c’est naturellement celui du chemin qui aura été parcouru depuis l’année 1850, puisque son symétrique, celui restant à parcourir pour atteindre le but de l’impasse ne peut pas être déterminé avec précision.

Car, en tout état de cause, il paraît évident que l’option de cheminement arrière sera rendue d’autant plus difficile que la valeur de ce premier paramètre (le chemin déjà parcouru) sera plus élevée, ou dit autrement, que la multitude humaine aura plus longtemps attendu avant de rebrousser chemin.

Cette option de demi-tour, de U-Turn, hormis son niveau de difficulté ainsi paramétré, suppose, par ailleurs, que la certitude de la survenue de l’impasse aura éclairé les masses avant le terme de sa réalisation effective.

Cette condition, exposée ainsi sous forme de truisme, semble toutefois difficilement réalisable, car contradictoire avec toutes les données de la sociologie et de l’anthropologie sociale connues à ce jour, tout simplement parce qu’il n’existe pas d’exemple, dans l’histoire des sociétés humaines, où un seul groupe, même restreint, ait modifié en profondeur son mode de vie en fonction de la certitude acquise par le raisonnement de la survenue d’un événement futur.

Cette faculté prospective semble, en effet, absente des caractéristiques humaines, au contraire de de la faculté adaptative, qui, elle, en est objectivement le fleuron le plus abouti.

De ce point de vue, et en conformité avec les leçons de l’histoire, la logique voudrait que l’homo industrialis pousse son chemin croissanciste, jusqu’à son terme, qu’il constate de visu l’impasse et que, mettant en action sa fabuleuse capacité adaptative, bien supérieure à toutes celles des autres espèces animales, il trouve une réponse, à défaut de solution, à la nouvelle configuration, et ce, dans le cadre d’une écologie nouvelle et contrainte, et quelles que puissent être les externalités négatives collatérales de cette adaptation.

Une option différente, c’est à dire un changement de cap avant terme, et lié à un raisonnement global, serait une grande première dans l’histoire humaine, mais cela pourrait également être le témoignage d’une évolution supérieure de l’espèce, devenue capable de prendre en charge et de maîtriser son destin.

Et c’est alors que nous en venons à la deuxième question posée en préambule : après le « Que faire ? », le « Comment faire ? ». Et que, Nous allons donc, comme le suggère l’intitulé de cette chronique, parler de politique.

Mais la politique, en réalité, qu’est-ce que c’est ? Parce que le terme « politique » fait partie des nombreux termes polysémiques dont il vaut mieux préciser la définition à chaque fois que nous l’employons. Et également parce qu’il en va du discours sur la politique comme de celui sur d’autres thèmes centraux de l’organisation collective, à savoir que le discours ne peut pas être reçu correctement, et donc approuvé ou contesté efficacement, si le terme employé n’a pas été pas défini clairement au préalable.

Combien de débats, en effet, sur la politique, mais également sur le capitalisme, la démocratie, la liberté ou la justice sont-ils biaisés ou occultés de leur sens profond, par le seul fait que les protagonistes n’attribuent pas la même signification aux termes qu’ils emploient ?

Mais attention, notre propos n’est pas ici de revendiquer la validation officielle de la définition que nous allons proposer pour le terme « politique », en temps que référence lexicale incontestable à vocation universaliste, mais tout simplement de prendre la peine (ou encore d’avoir l’honnêteté intellectuelle) de nous engager sur un contenu signifiant précis chaque fois que ce terme, ou ce mot, sera employé, et ceci dans le but de ne pas laisser planer une zone d’incertitude propice à une habile révision de notre argumentation, a posteriori, et chaque fois qu’une objection pénible nous sera opposée.

Une acception la plus large, donc pouvant être agréée par le plus grand nombre, du mot « Politique » pourrait être celle-ci : « Est politique ce qui est relatif à l’organisation d’une collectivité et à l’exercice du pouvoir en son sein ». 

Nous noterons, dans un premier temps, que cette définition évacue de fait l’acception couramment répandue par les médias mainstream, ou médias de masse, médias qui, comme nous le savons, appartiennent tous dans leur ensemble à quelques dizaines de membres de l’oligarchie économico-financière, c’est à dire capitaliste, acception qui identifie la chose politique à une compétition électorale entre des groupes fort peu dissemblables les uns de autres et tous fidèles zélateurs de la trajectoire industrielle croissanciste.

Ainsi, chaque groupe politique, lui-même VRP de telle ou telle variante minime de l’option capitaliste croissanciste, va alternativement occuper le pouvoir coercitif en attendant de remettre le témoin au groupe voisin/cousin lors de la prochaine olympiade.

Ce combat des chefs feutré n’est toutefois accessible qu’à une minorité d’individus soigneusement triés grâce à un système législatif dédié, dont l’analyse en profondeur sera livrée par l’intermédiaire d’une future série de chroniques consacrées à la critique du système oligocratique.

Ce que nous retiendrons aujourd’hui, et dans le cadre du propos qui nous occupe, c’est que l’exercice de la politique « vue sous cet angle restrictif » de l’option oligocratique est réservé à une élite formée à cet effet et, par conséquent, quasiment inaccessible à tout individu non issu de cette filière.

Décrite ainsi, l’élite politique ressemble également de très près à l’élite économique, toutes deux étant en charge d’élaborer des argumentaires pour vendre leurs produits auprès de citoyens considérés comme de simples consommateurs. De ce point de vue, le citoyen-consommateur est donc également un électeur-consommateur, cible privilégiée du politicien, dont le métier consiste dès lors à obtenir de l’électeur-consommateur un bulletin de vote en échange d’un produit (en politique nous appellerons un« produit », une « promesse ») suffisamment appétant.

A la suite à ce décryptage très précis du fonctionnement politique de la société de la croissance, nous en arrivons rapidement à la conclusion que la définition générique de la politique que nous avons donné tout à l’heure se doit d’être précisée ainsi : La science politique a pour objet de déterminer les méthodes et outils permettant à un groupe restreint d’individus d’exercer le pouvoir au sein d’une collectivité élargie.

Nous remarquerons que cette deuxième définition n’est pas contradictoire avec la première : Est politique ce qui est relatif à l’organisation d’une collectivité et à l’exercice du pouvoir en son sein, mais qu’elle précise singulièrement le contenu du ce qui, et par là même révèle toute l’insuffisance de la définition générique initialement proposée.

Ceci étant posé, et mettant cette définition affinée en perspective de notre propos qui, rappelons-le, est : « Comment faire ? » (sous-entendu , face à la perspective de l’impasse), il apparaît clairement que cette acception capitaliste croissanciste de la politique ne saurait convenir au type de situation que nous envisageons.

En effet, comment imaginer qu’une politique ayant pour seul objectif de flatter le citoyen-électeur-consommateur pour pouvoir lui vendre les produits marchands élaborés par ses commanditaires puisse être en capacité de construire un projet tout entier tourné vers un autre objectif ?

Autrement dit encore, comment imaginer qu’une politique ayant elle-même construit la religion et l’infrastructure de la croissance puisse être en capacité de déconstruire cette religion et recréer une infrastructure a-croissante ?

Rappelons-nous la célèbre maxime d’Albert Einstein : « on ne résout pas un problème avec le mode de pensée qui l’a créé ». Si le problème c’est l’impasse de la croissance, ce n’est pas avec la politique qui a crée le problème que nous allons le résoudre.

Bref, vous l’avez compris, il faut changer de vision de la politique. Mieux, Il faut changer « la » politique. Plus facile à dire qu’à faire. Alors comment pourrions-nous nous y prendre ?

En tout premier lieu, nous devons définir la politique autrement, tout en conservant toutefois la racine générique : « Est politique ce qui est relatif à l’organisation d’une collectivité et à l’exercice du pouvoir en son sein », qui, comme nous l’avons dit, ne paraît pas devoir être contestée de par son caractère clair et objectif.

Mais il faut, dans cette autre définition, introduire un critère qualitatif différent du marketing politique, ce critère capitaliste croissanciste dont nous venons de parler.

Et cet critère qualitatif différent du marketing politique, situé même à ses antipodes, c’est le critère de vérité.

Critère, ou principe de vérité, dont nous devons immédiatement préciser le sens exact, afin de couper court par avance à toute mauvaise interprétation. En posant le principe de vérité en tant que moteur de l’action politique, c’est à dire de l’agir humain visant à organiser coercitivement la collectivité, nous ne prônons pas l’avènement de groupes politiques se prétendant, chacun d’entre eux et alternativement, détenteurs de LA vérité, et incitant ainsi les masses à adhérer à leurs prescriptions sur la base d’une foi inébranlable, car ce schéma ressemblerait fort à celui d’aujourd’hui, celui de la société capitaliste croissanciste.

Non, nous disons que l’action d’un mouvement politique doit être guidée, non par la recherche de l’adhésion la plus grande possible des masses à son discours, mais, uniquement par la recherche de la vérité, et sans se préoccuper de l’impact des déductions de cette recherche sur les masses populaires.

Car « recherche d’adhésion » et « recherche de vérité » représentent deux objectifs contradictoires, le second, la recherche de la vérité, étant, à notre sens, la vraie raison d’être de la politique, d’un point de vue éthique d’une part, mais également la seule façon d’avoir une chance, une toute petite chance, mais une chance quand même, de pouvoir traiter efficacement le problème de l’impasse.

De ce point de vue, et ainsi redéfinie, la Politique cesse d’être une activité marchande, comme elle l’a trop longtemps été jusqu’à présent, bien plus, elle accède à un statut supérieur, celui d’une activité de recherche, de recherche de la vérité quoi qu’il en coûte, ce qui implique naturellement et en premier lieu, de « dire » la vérité.

Cette recherche de la vérité, il faut bien le préciser, définit une posture de principe garante de la vertu d’une organisation politique, mais elle n’emporte aucunement la garantie d’un résultat idéal, celui-ci pouvant naturellement revêtir des formes multiples, mais toujours nécessairement argumentée et contredites.

Et c’est donc, vous l’avez bien compris, dans cette optique et non dans celle de la politique politicienne qui sévit dans la société capitaliste croissanciste actuelle, que nous allons tenter de faire le point sur cette situation qui conduit manifestement l’homo industrialis vers une impasse.

Car face à la faillite économique, comptable, financière, sanitaire, alimentaire et culturelle de la société industrielle qui semblent toutes inéluctables, pouvons-nous envisager une solution, ou tout au moins une forme de solution ?

C’est que que nous étudierons dans la prochaine chronique intitulée « Les chemins de la résilience »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *