Critique objective de la croissance – Chronique n°24 : Quelle politique pour demain ?

Série : Critique objective de la croissance – Rubrique : L’impasse politique – Chronique n°24. Quelle politique pour demain ?

Support de débat pour la réunion du 02/02/2023 à 14h00 sur https://meet.jit.si/decroissance

En guise de conclusion particulière à cette série de chroniques sur l’impasse politique de la société de la croissance, mais également en guise de conclusion générale aux autres séries de chroniques détaillant les divers aspect de l’impasse globale de la croissance : séries sur l’impasse physique, l’impasse comptable, l’impasse financière, l’impasse sanitaire, l’impasse alimentaire, l’impasse culturelle, quel regard prospectif pouvons-nous porter sur le devenir des comportements collectifs face à toutes ces impasses ?

Ce qui est certain, c’est que, dans le monde organisé des humains, tout est politique.

Ce n’était sans doute pas le cas avant la révolution néolithique, à l’époque des chasseurs pêcheurs cueilleurs, époque à laquelle il ne semble pas que des règles collectives aient été formellement établies entre les hommes.

Mais avec la mise en œuvre d’un processus économique, même rudimentaire au début, la nécessité est apparue d’un contrat social établissant des mesures d’interdiction et des injonctions de contrainte entre les différents membres d’une même collectivité, système de gestion de l’ensemble des règles coercitives qui, comme nous l’avons dit, peut être admis en tant que définition fondamentale de la politique.

La décroissance, elle, définit un processus économique spécifique et ne comporte pas, en soi, de composante politique au sens où nous avons défini ce terme, c’est à dire un mode de gestion de règles coercitives entre divers individus d’un ensemble social.

Toutefois, il apparaît que la politique est issue du processus économique et que, sans ce dernier, la collectivité humaine pourrait très bien être livrée à elle-même sans être nécessairement encadrée par un quelconque dispositif juridique.

Si nous admettons donc que c’est l’économie qui génère la politique, autrement dit que ce sont les rapports économiques qui construisent les rapports politiques, la vision mécaniste de l’économie politique nous conduirait alors à penser que la réversibilité du phénomène est possible, c’est à dire qu’un mode politique donné peut induire un mode économique donné.

Le marxisme fait partie de ces théories mécanistes de l’histoire qui, traduites en termes de physique, nous explique que si une quantité Q1 de travail a généré une quantité Q2 de chaleur, cette même quantité Q2 de chaleur va pouvoir récréer la même quantité Q1 de travail.

Traduit en doctrine de gouvernement, ses applications se nomment : planification, réglementation, restriction de la liberté individuelle et, de façon plus générale, toute-puissance-de-l’Etat représenté concrètement et physiquement par un groupe restreint d’experts autoproclamés.

Cette vision mécaniste, indépendamment de ses conséquences détestables sur l’autonomie du citoyen, pêche par son ignorance des lois de la thermodynamique et de la non-réversibilité des phénomènes liés au processus économique.

Elle débouche également sur cette illusion, fâcheusement répandue, du politique pouvant décider de l’économie. Elle a nourri un certain nombre d’expériences qui ont toutes buté sur cette réalité de la non-réversibilitéé et se sont soldées par les banqueroutes que l’on sait. De ce fait, tous ceux qui lient la décroissance à la politique dans ce sens erroné, sont condamnés à subir le même destin historique.

De ce fait, il nous devons affirmer que le changement politique viendra de la décroissance et pas l’inverse et que c’est à partir de cette grille de lecture qu’il faut apprécier la position de tel ou telle mouvance décroissante.

Concrètement, nous constatons que tous ceux qui proposent un programme politique pour décroître, le font dans le cadre d’un parti politique existant du système oligocratique. Et même s’ils font tout pour le cacher, ils sont néanmoins contraints de tomber le masque au jour fatidique des élections en appelant à voter pour l’un ou l’autre de ces partis, car c’est bien au pied de l’élection qu’on voit le militant (tel qu’il est) !

En réalité, le passage du discours culturel au discours politique enferme la plupart des décroissants dans une contradiction inextricable, à telle enseigne que nous comprenons fort bien le souci appuyé des effondristes, nouveaux leaders de la mouvance, de ne pas toucher à ce discours toxique au risque d’y laisser leur renommée et d’y fourvoyer leur succès tout neuf.

L’analyse de cette contradiction part du fait peu contestable qu’il très difficile de concevoir un programme politique ayant pour objectif d’empêcher la survenue d’un phénomène que l’on pronostique comme devant être inéluctable. C’est précisément cette évidence qui, en principe, devrait priver les effondristes toute possibilité de vision politique.

Or, les choses ne sont pas si simples car il existe une pulsion irrépressible qui pousse celui qui prétend se limiter à livrer un constat, à s’engager un peu plus loin et proposer certaines solutions.

Mais alors de quelle façon répondre à ces trois questions stratégiques :

  • pourquoi ne pas attendre que le déclin survienne réellement ?
  • comment donner à la démarche décroissante un caractère mondial ?
  • par quels types de mesures y parvenir ?

La première question est la plus fondamentale, car, finalement, la moins riche d’arguments probants. En fait, on en revient toujours à la question du délai chère à Günther Anders, qui déclarait : Nous ne vivons plus dans une époque mais dans un délai.

A partir de cette hypothèse, de deux choses l’une :

  • soit ce délai est très court, et alors l’urgence n’est pas de précipiter les choses, mais plutôt de chercher à savoir dès maintenant comment nous allons nous adapter au déclin ;
  • soit ce délai semble lointain, et dans ce cas, la tentation est grande de mettre en place quelque chose pour le repousser encore plus loin.

Et c’est précisément à cette dernière tentation que succombent les décroissants culturels/volontaires, objecteurs de croissance en nous expliquant qu’en décroissant tout de suite nous allons pouvoir maintenir durablement un état stationnaire à basse activité industrielle, rejoignant ainsi, sans s’en rendre compte, le concept tant décrié du développement durable.

Et c’est bien dans la lignée de ce raisonnement, que nous avons vu récemment émerger ce slogan : Face à l’effondrement, une solution : la Décroissance,

Une décroissance, bien sûr, qui surfe sur la lame de fond du réchauffement climatique, balayant tout sur son passage, tant la loi de l’entropie que la dégradation des sols arables, à tel point qu’il n’est même plus nécessaire de les évoquer dans un catéchisme vendu d’avance.

Le revers de la médaille c’est que, si le discours climatique évite les raisonnements pénibles en réduisant la solution de tous les problèmes à la lutte contre le gaz carbonique, il réconcilie le capitalisme avec l’écologie moyennant quelques ajustements concoctés à chaque COP successive.

Et c’est ainsi que nombre de ces décroissants thermodynamiquement approximatifs rejoignent la cohorte des individus persuadés que le système capitaliste croissanciste peut perdurer grâce à une transition écologique rondement menée.

C’est alors que, face à ce réseau d’impasses à terme, mais pressés par le démon de l’immédiateté, nous nous demandons : mais que nous pouvons-nous faire tout de suite et maintenant qui soit d’une quelconque utilité pour nos concitoyens ?

Sans hésitation, la première chose à faire et, de loin, la plus importante, est de lancer l’alerte. Une alerte sous forme de raisonnement rationnel, logique et, en fin de compte scientifique, dont l’objectif est double :

  1. démontrer que le processus économique basé sur l’utilisation des ressources naturelles finies contient en lui-même l’inéluctabilité de son extinction, d’une part,
  2. et laisser entrevoir que le trajet progressif vers un processus économique n’utilisant que des ressources naturelles renouvelables dans la limite de leur renouvellement est porteur d’énormes satisfactions et avantages, d’autre part.

C’est donc, de ce point de vue, un immense chantier d’éducation populaire qu’il nous faut entreprendre

Ces deux composantes de l’alerte ainsi définie, contiennent naturellement des externalités négatives, ou pouvant être considérées comme telles, avec au premier chef l’interaction de deux problèmes fondamentaux : celui de l’alimentation et celui de la démographie. Cette double problématique, possiblement anxiogène, doit être étudiée et traitée sereinement et posément pendant le temps qui nous est imparti entre aujourd’hui et le début de la décroissance inéluctable.

Il est clair qu’actuellement, aucune piste de parade n’existe à ce problème, du moins si nous attribuons au terme parade le sens de solution proprement dit. La seule piste possible consiste à imaginer la mise en place d’un accompagnement optimal du phénomène, toujours dans la perspective de la construction du déclin. Mais qui peut proposer cela ? Pas grand monde, et, à vrai dire personne !

Nous voyons donc que l’action politique contemptrice de la croissance est condamnée, elle aussi à une sorte d’impasse, impasse bien illustrée par le fait que le capitalisme croissanciste, se renforçant de ses propres oppositions tel le cyclope qui se nourrissait de ses agresseurs, ne semble pas devoir être sérieusement inquiété par aucune contestation résiduelle sérieuse, et qu’il peut donc, pour ses moments de repos, dormir paisiblement sur ses deux oreilles, ou, pour ses instants de divertissement, observer avec amusement quelques groupuscules gesticuler en vain en de dérisoires contestations.

Il semble bien également, que seules les lois de la nature (dont il a cru pouvoir s’affranchir depuis moins de deux siècles) soient en mesure de rendre le capitalisme croissanciste, à jamais, inopérant.

Je vous remercie et à bientôt

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