Critique objective de la croissance – Chronique n°14 : Quelle santé pour demain ?

Support de débat pour la réunion du 25/12/2022 à 17h00 sur https://meet.jit.si/decroissance
Critique objective de la croissance, par Christian Laurut – Chronique n°14 – Rubrique : L’impasse sanitaire – Sujet : Quelle santé pour demain ?

Nous avons vu, dans les deux chroniques précédentes consacrées à l’impasse sanitaire de la société de la croissance, comment énoncer une véritable définition du concept de « santé », d’une part, et pourquoi un véritable débat avec la médecine croissanciste se révélait impossible, d’autre part. Nous en venons aujourd’hui à la question finale, la plus importante pour tout dire : « Quelle sera, demain, la santé de l’homo industrialis ? »

En réalité, il y a deux questions qui se posent :

La première est d’ordre anthropologique : quel est l’avenir à moyen terme du système de santé tel qu’il est conçu dans le cadre de la société industrielle, ou posé plus simplement : comment se portera l’homme dans un futur proche ?

La seconde est d’ordre éthique et nous ramène comme un balancier à notre point de départ : qu’est ce que la santé ? Qu’est-ce qu’une bonne santé ?

Concernant la première question, les chiffres de l’EVBS, rectifiée EVSI indiquent 63 ans en 2017 au sein de l’Union européenne, ce qui abaisse de la bagatelle de 20 ans les chiffres de l’EV stricte et nous ramène aux chiffres de l’EV en 1950, cad il y a 70 ans.

Reste cependant à savoir, ensuite, ce qui est considéré dans la collecte des données amenant à ces résultats, comme relevant de l’incapacité, définie en tant qu’état d’un individu qui est limité dans ses activités quotidiennes.

En pratique, cette limitation est mesurée uniquement sur le plan physique et ne prend pas en compte la dépendance quotidienne aux médicaments, qui, comme nous l’avons vu plus haut concernent 1/3 de la population, et qui ramènerait du coup l’espérance de vie en bonne santé au début de la civilisation industrielle et peut être même bien avant, pour peu que nous prenions la peine d’affiner le calcul.

Ce qui, au final, signifierait déjà un constat d’échec cuisant, d’un point de vue purement statistique, de la société industrielle croissanciste pour améliorer la santé de ses ressortissants et qui, dans l’hypothèse hautement probable d’une continuation et intensification de cette politique de santé, préfigurerait d’un abaissement pérenne de ce résultat sans espoir d’inversion de tendance, ce qui ressemble déjà de très près à la définition d’une impasse.

Concernant la deuxième question,

  • en reprenant la définition de l’OMS : Etre en bonne santé signifie qu’on n’est pas porteur d’une maladie,
  • en étant tout simplement logique et objectif,
  • en écartant tout déni,
  • en refusant de tourner autour du pot,
  • bref en ayant la volonté d’être clair et d’appeler les choses par leur nom,

nous ne ferons que nous reporter à l’étude de 2015 de l’Observatoire sociétal du médicament 2015 menée par le LEEM, sur le rapport des Français aux médicaments, dans laquelle nous lisons que 2% seulement de la population ne prend jamais de médicament, c’est à dire, au sens littéral du terme est en bonne santé. Ce chiffre se passe de commentaires.

Si nous reportons ces 2% à la totalité de la population française actuelle, nous obtenons le chiffre dérisoire de 1,2 millions de français en bonne santé au sens strict du terme, basée sur la définition de l’OMS, chiffre qui doit être comparé au chiffre de 35 millions de français de l’année 1850 qui n’absorbaient aucun médicament chimique de synthèse et qui, de ce fait, pourraient être considérés comme étant en bonne santé.

En poussant encore un peu plus le raisonnement, nous pourrions considérer qu’à cette époque tout individu qui était en vie, était en bonne santé et que, de ce point de vue, le système de santé de la société industrielle obtient des résultats 30 fois moins bons que le système antérieur.

En remontant encore plus loin dans le temps, nous pourrions également nous demander comment pourrait être notée la santé des gens du moyen age, ou plus loin encore de l’antiquité, voire de l’homme de Néanderthal.

A ce propos de récentes études ont montré que l’estimation à 35 ans de l’espérance de vie au moyen age, était largement discutable. Notamment, une étude basée sur des ossements datant d’entre 475 et 625 a révélé que certains d’entre eux auraient pu appartenir à des personnes dont l’âge dépassait largement ces 35 ans. De fait, la croyance largement répandue aujourd’hui selon laquelle vivre jusqu’à 35 ans au MA aurait constitué une chance inouïe, n’a rien à voir avec la réalité.

C’est ainsi que nous pouvons très bien considérer que l’âge moyen de décès de tous ceux qui survivaient à la mortalité infantile, (principal facteur statistique), qui mangeaient à leur faim et étaient correctement logés (deuxième facteur statistique) se situait aux alentours de 70 ans, et sans l’aide de la pharmacopée moderne. Ce qui nous rapproche singulièrement des chiffres actuels de la fameuse EVBS ou EVSI.

Ceci étant posé, nous ne pouvons omettre dans cette étude de l’incidence de la croissance industrielle sur la santé humaine, et en liaison avec l’actualité du Covid19, de parler des phénomènes épidémiques dans la société moderne.

Dans un texte publié en juillet 2020 sur le site Médecines et Sciences de l’Inserm sous licence creative commons et assorti d’une déclaration de l’auteur certifiant sur l’honneur n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article, le professeur Patrice Debré de l’Académie nationale de médecine, et du Département d’immunologie à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, nous éclaire remarquablement sur plusieurs points en relation avec notre étude.

En premier lieu, il confirme une information qu’un esprit profane mais suffisamment ouvert et éclairé pouvait pressentir, c’est celle que   l’apparition des épidémies date du Néolithique. Celles-ci ont accompagné l’avènement des sociétés sédentaires, l’apparition de l’agriculture et de la domestication des animaux, puis de la concentration de ces sociétés dans des villes. Ce passage à un nouvel espace socioculturel de l’humanité est appelé « première transition épidémiologique ».

Cette première affirmation d’un scientifique incontestable nous amène à deux conclusions importantes :

  1. les homos sapiens du prénéolithique ne connaissaient pas les microbes, ce qui lie indubitablement la maladie à l’abandon du mode de vie chasseur pêcheur cueilleur et renforce du même coup l’idée de l’âge d’or de cette période (pré-néolithique)
  2. il existe une forte probabilité de proportionnalité entre l’augmentation de la croissance industrielle et celle de la multiplication du microbisme, donc, dit autrement, d’une dégradation de la santé humaine directement liée au développement de la croissance.

La deuxième information importante que nous apporte cet article est que ce qu’il est convenu d’appeler la « seconde transition épidémiologique » apparue à la fin du XIXe siècle avec les progrès de la médecine et de l’alimentation, la multiplication des vaccins, puis la découverte des antibiotiques a certes fait reculer de manière spectaculaire la mortalité des pays industrialisés, mais s’est, malheureusement, accompagnée de l’émergence de nouvelles maladies infectieuses, telles le sida, la légionellose, et de la ré-émergence de maladies que l’on croyait sous contrôle, et avec, nous y voici, l’apparition des épidémies à coronavirus, sans parler naturellement de maladies non infectieuses comme le cancer.

C’est ainsi que nous sommes manifestement entrés au cours des quarante dernières années du XXe siècle et en ce début de XXIe siècle dans une nouvelle transition que nous pouvons probablement dénommer « troisième transition épidémiologique » que favorisent de nouveaux facteurs épidémiques indubitablement liés à la mondialisation, à la densité des populations, notamment urbaines, à la pratique de l’élevage industriel facilitant la recombinaison entre virus animaux et humains et au mode de vie en général, c’est à dire, pour faire court, une 3ème transition épidémiologique directement liée à l’intensification de la croissance industrielle.

Plus grave encore, cet article pointe l’effet secondaire de la systématisation des méthodes antiseptiques entraînant de fait la sélection de microbes de plus en plus résistants.

Ce phénomène alarmant, déjà constaté par les pionniers de l’antibiothérapie, dont Alexander Fleming en personne, conduit à l’utilisation de cocktails de plus en plus complexes à base de plusieurs antibiotiques pour venir à bout des microbes les plus tenaces, sans pouvoir toutefois empêcher la survenue de nouvelles résistances.

L’un des exemples les plus dramatiques, cité dans cet article, étant celui de la tuberculose, dont les premières résistances ont été constatées aux États-Unis à partir de 1985, et à propos desquelles en 2018, l’OMS évaluait à 10 millions le nombre de nouveaux cas, dont 484 000 présentant une résistance à la Rifampicine, l’antibiotique de première intention, et parmi lesquels 78 % étaient des cas de tuberculose multirésistante.

Cette réalité inquiétante est déjà perçue par le grand public ainsi que nous l’avons déjà indiqué tout à l’heure en citant cette étude du LEEM où se manifestent de nouvelles peurs populaires relatives à la santé comme le fait de : contracter une maladie nouvelle contre laquelle on ne sait pas lutter, ou d’être victime d’une infection contre laquelle les antibiotiques ne sont pas efficaces

Le professeur Debré conclut son article en affirmant la nécessité de développer ce qu’il nomme une « culture du risque » en matière de santé, que nous traduirons plus explicitement en « culture de la peur du microbe », notion qui sera plus largement étudiée dans le cadre de la prochaine conférence sur l’impasse culturelle.

Toutes ces considérations, vous l’avez bien compris, nous amènent, pour notre part, à la conclusion évidente que l’indice de développement la société industrielle croissanciste est inversement proportionnel à l’indice de bonne santé, pris au sens de capacité d’auto-résistance à la maladie, de l’homo industrialis pouvant être représenté en terme mathématique par l’équation ΔPIB = 1/ΔSANTE.

Mais à cette équation, qui ne rend compte que de l’effet proportionnellement néfaste de l’augmentation de l’indice de croissance de la société industrielle sur la capacité d’auto-résistance à la maladie de l’homme, nous devons associer une autre équation qui établit, elle, une relation dans les mêmes proportions inverse entre le développement de la politique de santé de la société industrielle, à savoir son option curato-centrée, et , toujours, cette capacité d’auto-resistance à la maladie, qui constitue objectivement le seul indice de bonne santé de l’espèce, d’ailleurs validé par la définition même de l’OMS, pouvant être représenté en terme mathématique par l’équation ΔPOLITIQUE =   1/ΔSANTE.

Cette équation venant naturellement s’associer à la précédente pour former un système cumulatif particulièrement inquiétant.

Cette falsification voulue du rendu statistique des gestionnaires de la société croissanciste pour ce qui concerne la santé physique de l’individu est naturellement de même nature que la falsification déjà dénoncée de celle du rendu comptable pour ce qui concerne l’économie, par l’utilisation du seul PIB.

De même que nous avons indiqué dans les conférences précédentes, que seule la présentation des résultats de l’économie en comptabilité de stock (au lieu celle en comptabilité de flux) était pertinente et signifiante, nous considérons que l’indice EV, ou EVBS, ou EVSI ne saurait rendre compte de la bonne santé d’une population, au contraire d’un indice simple et clair que nous avons déjà suggéré précédemment qui serait celui de la proportion de la population n’ayant pas recours à la pharmacopée médicamenteuse chimique durant sa période de vie.

Or, nous avons vu que cet indice pouvait être estimé à actuellement 2% d’après les études officielles réalisées par les gestionnaires de santé, ce qui prouve indubitablement la chute vertigineuse de cet indice depuis l’avènement de la civilisation industrielle, puisque cet indice était par définition de 100% avant cette date, et, donc, par voie de conséquence, ce qui dénote une dégradation générale de l’équilibre biologique de l’espèce concomitamment et consubstantiellement au développement de la société croissanciste.

C’est ainsi que nous nous rendons compte que la croissance économique entraîne l’humanité dans une spirale mortifère qui, chaque jour rend l’individu un peu plus fragile et, en même temps, un peu plus dépendant de son addiction médicamenteuse.

Cette double peine, que la communication des gestionnaires de santé tente de masquer aux yeux du grand public par la production d’indice trompeurs, sanctionne en réalité et sans appel, une société qui a commis l’un des pires délits qu’on puisse imaginer envers ses propres sujets.

Ce pire délit a été celui d’amoindrir les capacités physiques des individus au point de transformer les forts en frêles et les robustes en fragiles,

Ce pire délit a été celui de diversifier les sources de microbes et les causes des maladies,

Ce pire délit a été celui de n’avoir pas su apporter une réponse autre que médicamenteuse à toutes ces maladies, avec la circonstance aggravante d’être dans l’incapacité absolue de garantie une durabilité du dispositif industriel de fabrication de ces mêmes médicaments

Cette société aujourd’hui ne peut qu’être mise en accusation car l’accumulation de ces mauvais choix, guidés par la mire absolue de la sacro-sainte croissance a manifestement engagé l’humanité sur une « fausse route sanitaire ».

Une « bonne route sanitaire » eut été de faire coïncider la croissance économique avec une croissance de la robustesse de l’individu et une augmentation de son immunité aux microbes, virus et maladies en tous genre.

C’eut pourtant été la moindre des choses que les gestionnaires croissancistes, dont l’incommensurable orgueil de toute puissance dans le domaine des avancées physiologiques est exposé chaque jour dans le champ médiatique, soient parvenus au moins à rendre l’homme imperméable à la maladie afin que la seule cause de sa fin de vie, soit, tout simplement le seul phénomène naturel de vieillissement, et à défaut, et nous le leur pardonnerions volontiers, d’avoir su le rendre immortel ou même augmenté, voire transhumain (comme ils disent),

Car, cette toute petite chose qui se dénomme : « l’accession à l’immunité pour tous » nous disons toute petite chose parce que, comparée au catalogue interminable des promesses scientifiques les plus extravagantes cette exigence apparaît, somme toute, comme une simple peccadille,

Cette toute petite chose : « cette immunité à la maladie », pour être vraie victoire, encore faudrait-il que, en tant que résultat de la politique sanitaire d’une société, elle soit acquise sans le recours à des artifices dépendants de la croissance elle même, et qui, du fait de leur contingence, pourraient ne plus être disponibles dans le cadre d’une société ne pouvant plus, ou ne voulant plus, être en croissance.

Car la situation, proche de laquelle nous sommes actuellement, d’une humanité totalement médicamentalisée, ou l’homo industrialis serait mis sous traitement dès le premier jour de sa naissance, ne présenterait pas qu’un caractère désagréable pour quelques esprits chagrins, passéistes par affectation ou rétifs par jeu au progrès technologique, mais présenterait surtout un danger mortel pour une société progressivement, ou subitement, privée de ses moyens de production industriels.

Qu’adviendrait-il dès lors, et pourquoi pas dès aujourd’hui, si la capacité de production industrielle de l’industrie médicamenteuse venait à décliner ? Quelle serait l’incidence sur les chiffres statistiques de l’espérance de vie ? Mieux vaut se contenter de poser la question que de tenter d’y répondre.

Cette « bonne route sanitaire » que nous venons d’évoquer n’est malheureusement qu’un rêve.

Nous ne pourrons même pas dire à nos enfants et à nos petits enfants : vous voyez, la croissance qui s’achève aujourd’hui, nous a au moins apporté une meilleure santé, une meilleure résistance à la maladie en toute circonstance, elle a permis de renforcer notre immunité naturelle sans que nous soyons dépendant d’aucun agent externe.

Nous ne pourrons malheureusement pas leur dire cela, puisque, bien sûr c’est tout le contraire qui s’est passé, et cela, sans que nous puissions voir lucidement la manière d’y changer quoi que ce soit.

Parce que nous sommes réellement, objectivement   et définitivement engagés dans une impasse sanitaire.

Je vous remercie et je vous donne RDV pour ma prochaine chronique, où nous aborderons une nouvelle impasse, la cinquième dans notre liste après les impasses physique, comptable, financière et sanitaire : l’impasse alimentaire

A bientôt

 

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