Critique objective de la croissance – Chronique n°9 : Le spectre du dépôt de bilan

Support de débat pour la réunion du 27/11/2022 à 17h00 sur https://meet.jit.si/decroissance
Critique objective de la croissance, par Christian Laurut – Chronique n°8 – Rubrique : L’impasse financière – Sujet : Le spectre du dépôt de bilan

Dans les chroniques précédentes, nous avons établi le caractère structurellement déficitaire du mode de production de la société industrielle croissanciste, pour peu que nous établissions ses comptes de façon sincère et probante, c’est à dire en comptabilité de stock (au lieu de cette comptabilité de flux incomplète choisie par la société croissanciste pour mieux masquer les conséquences comptables de sa prédation illimitée des ressources naturelles finies de la planète et nous nous sommes quittés à la fin de la chronique n°8 sur cette interrogation : Mais comment les gestionnaires de la société industrielle s’y prennent-ils donc pour faire face à cette situation de déficit chronique, structurel et sans issue ?

Et comment s’y prennent-ils également pour que les populations ne se rendent pas compte de la réalité de cette situation déficitaire ?

Une première réponse à cette question tient dans le fait que les gestionnaires de la société industrielle croissanciste, qui maîtrisent les principaux outils de communication de masse, affirment haut et fort, au contraire, que les comptes sont en équilibre, ou que le léger déficit qu’ils veulent bien avouer n’a rien d’inquiétant et que la confiance des peuples en leurs dirigeants sur ce point ne partapit pas avoir été encore entamée.

C’est ainsi que nous avons établi, après avoir analysé en détail la décroissance des rendements énergétiques et la dissipation continue de la matière utilisable, que cette réalité physique se traduisait en termes comptables par un déficit abyssal et irrémédiable du compte d’exploitation de la société industrielle croissanciste, pour peu que ce dernier soit présenté de façon à restituer une image juste et sincère de l’activité économique de, et non pas, bien entendu, sous la forme de l’unique marqueur du PIB, dont nous avons largement prouvé qu’il ne mesurait en rien la bonne santé, c’est à dire le caractère pérenne, d’un système économique.

Dés lors, et dans un premier temps, nous pourrions nous poser la question de savoir si les gestionnaires oligocratiques sont réellement conscients du fait que leur système fonctionne à perte, et cherchent uniquement à cacher cette vérité pour des raisons démagogiques, je dirais plus précisément pour des raisons électorales, jugeant avec raison qu’un aveu d’échec signifierait pour eux le début de la fin de l’aventure irraisonnée dans laquelle ils se sont lancés depuis 170 ans.

Une autre hypothèse, n’étant d’ailleurs pas forcément exclusive de la première, serait de considérer qu’ils l’ignorent tout simplement, aveuglés qu’ils sont en raison du formatage de leur pensée économique par les grandes écoles du pouvoir.

Ceux qui pencheraient pour la première hypothèse, risqueraient, par les temps qui courent de schématisation de la pensée, d’être immédiatement catégorisés dans la rubrique des promoteurs de la théorie du complot.

Cette option, en effet, équivaudrait à conférer aux gestionnaires de la société industrielle croissanciste des intentions machiavéliques, à les présenter comme de redoutables rapaces prêts à tous les stratagèmes pour saigner à blanc le peuple à leur seul profit pécuniaire, et par le truchement d’un mode de production économique qu’ils sauraient par avance voué à l’échec.

Cette vision des choses n’est naturellement pas la mienne ne serait-ce que parce qu’elle risquerait de mettre en danger ma liberté d’expression, voir ma liberté physique, toujours par les temps qui courent.

J’opterai donc pour la seconde hypothèse, moins susceptible d’être pénalisée, par les temps qui courent, cad l’hypothèse de la bonne foi, malheureusement accompagnée de deux caractéristiques regrettables : l’incompétence entrepreneuriale, et de ce que je nommerai la cécité du lendemain.

Cet exposé des raisons pour lesquelles je suggère l’idée que les gestionnaires de la société industrielle croissanciste ne sont pas réellement conscients du fait que leur système fonctionne à perte, sera fait en usant de la liberté qui est consentie à tout citoyen (mais pour combien de temps encore) de livrer une analyse sensiblement différente des exposés officiels, ou encore d’analyser des domaines que la version officielle n’analyse pas.

Je veillerai toutefois à user, mais à ne pas abuser, de cette liberté, car je n’ignore pas l’article 11 de la DDHC, partie intégrante de notre constitution qui stipule que la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme et que tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf, naturellement, à abuser de cette liberté.

Ceci étant dit, et sans abuser de ma liberté d’expression, et notamment après avoir écarté l’hypothèse n°1, celle qui pourrait me faire taxer de complotiste, et donc de risquer une pénalisation à court terme, je retiendrai donc uniquement l’hypothèse n°2, celle de la simple erreur de bonne foi, ce qui, dans l’état actuel des tendances évolutionnistes du droit pénal, semble me mettre, pour l’instant, à l’abri de poursuites éventuelles.

J’ai donc suggéré que cette démarche supposée de « bonne foi », de la part des gestionnaires croissancistes, s’accompagnait malheureusement de deux caractéristiques regrettables : l’incompétence entrepreneuriale, et la cécité du lendemain.

La première caractéristique : l’incompétence entrepreneuriale, se manifeste notamment par le choix de la comptabilité de flux au lieu de la comptabilité de stock , et par l’ignorance de l’application des lois physiques dans l’économie (thèmes que nous avons déjà largement étudié dans les chroniques précédentes consacrées à l’impasse physique et à l’impasse comptable).

La circonstance atténuante de la bonne foi pourra néanmoins être possiblement invoquée par ces gestionnaires lors de leur mise en accusation future par un peuple ruiné dans ses finances et ses espoirs, et ce, au motif notamment que leur imaginaire a été colonisé, à leur corps défendant naturellement, et à l « ‘insu de leur plein gré » comme dirait un célèbre coureur cycliste pris la main dans le sac d’EPO, que leur esprit a donc été colonisé et dopé par les nombreuses injections d’enseignement reçues dans les écoles prestigieuses dont ils sont issus : ENA, X, Centrale, HEC, ESSEC, Sciences Po, etc.

La seconde caractéristique déplorable, la cécité du lendemain, synonyme de l’expression plus triviale de la vue pas plus loin que le bout de son nez, sera toutefois plus difficile à pardonner et devrait emporter des sanctions plus rigoureuses. Car cet anti-don de courte vue n’est en réalité pas innocent, mais concentré sur la ligne de mire fondamentale de tout le système capitaliste croissanciste : l’appât du gain.

Cet objectif unique, l’appât du gain, est le moteur de tout type d’action économique au sein de la société industrielle croissanciste, à tel point qu’il constitue la réponse universelle à toutes les recherches causales de l’agir humain et peut se résumer à la formule suivante : cherchez où est le profit, vous trouverez la cause de l’action.

Considéré sous cet angle, il importe donc peu aux gestionnaires de la société industrielle de chercher à savoir de quoi demain sera fait, pourvu, qu’aujourd’hui, leur situation soit bonne.

Mais alors, à ce stade du raisonnement et pour revenir encore une fois, et toujours, à la réalité du déficit énergétique structurel du processus industriel, les citoyens ordinaires que nous sommes peuvent être fondés à se poser plusieurs questions :

  1. Quel est donc le ressort de cette mystification qui fait que nous dépensons plus d’énergie pour en obtenir moins, et que, plus globalement, nous produisons moins que ce que nous consommons ?

  2. Et comment se fait-il que nous ne nous en rendions pas compte ?

  3. Et, enfin, comment se fait-il que cela puisse durer ?

La réponse à ces 3 questions tient en peu de mots : c’est grâce au système financier !

Eh bien oui ! C’est le système financier qui compense et masque le déficit énergétique, avec des apports de liquidités créées ex nihilo par les banques privées, elles mêmes piliers fondamentaux du système, puisque ce sont ces banques privées qui rendent possible la continuation de l’entreprise société industrielle malgré son déficit d’exploitation.

Mais le problème c’est que, masquer la réalité comptable n’est pas une astuce suffisante en soi ! Car un déficit, même masqué par un apport en trésorerie permettant de payer les charges externes (notamment fournisseurs et salariés), un déficit n’en reste pas moins le résultat d’une activité qui consomme plus qu’elle ne produit, donc qui ne crée pas d’excédent de gestion, qui met en danger la capacité d’autofinancement et, au final, tout simplement la survie de l’entreprise.

C’est que, comme tout gestionnaire pris au piège dans un mode de production déficitaire, les gestionnaires de la société industrielle croissanciste n’échappent pas au spectre du dépôt de bilan

Qu’est-ce le dépôt de bilan ?

Afin de mieux comprendre cette notion de dépôt de bilan, prenons l’exemple d’un chef d’entreprise ordinaire qui se trouve confronté à un déficit récurrent de son activité, et qui constate que, quoi qu’il fasse, ce déficit perdure et même s’amplifie. Que peut-il faire ?

Ce chef d’entreprise peut, soit décider de cesser son activité, soit décider de la continuer. Jusqu’ici le choix est simple et compréhensible par chacun de nous, même profane en conduite des affaires commerciales et industrielles.

Si ce chef d’entreprise décide de cesser son activité, c’est cela que l’on appelle « le dépôt de bilan », c’est à dire une procédure où le tribunal de commerce va nommer un administrateur qui prendra les commandes de l’entreprise à la place de l’entrepreneur défaillant et tâchera de redresser l’entreprise, c’est à dire la gérer de façon à dégager un nouvel excédent de gestion, plus communément dénommé bénéfice, cet excédent de gestion allant alors permettre à l’entreprise de réduire son déficit cumulé (se traduisant généralement par des dettes à rembourser).

Si ce redressement judiciaire réussit, l’entreprise peut alors continuer, généralement avec un nouveau dirigeant, mais cette issue n’aboutit que dans 5% à peine des dépôts de bilan. Dans 95% des cas, le dépôt de bilan débouche sur une liquidation judiciaire, c’est à dire sur une disparition de l’entreprise.

Appliqué à la société industrielle croissanciste, ce scénario se traduirait par une mise hors circuit des individus gestionnaires croissancistes et la prise en main de l’économie globale par une autorité souveraine.

Dans l’économie ordinaire, cette autorité souveraine est représentée par le tribunal de commerce, dans le cas de notre économie globale croissanciste, cette autorité souveraine ne pourrait être que le Peuple, défini comme tel dans l’article 3 de notre constitution.

Placé en situation d’administrateur judiciaire, le peuple se verrait donc assigné la mission de réformer le système économique global pour le faire passer d’un mode déficitaire a un mode bénéficiaire, et, pour ce faire, de décider si cette action doit être menée directement par lui-même ou par une nouvelle équipe de gestionnaires à déterminer.

Traduit en terme politique, il s’agirait alors de choisir entre l’option de l’instauration d’une autre forme de gestion sociétale, et pourquoi pas la démocratie directe, et l’option du maintien de l’oligocratie sous une forme à modifier.

Dans tous les cas, le succès ne serait pas garanti, et la tentative redressement pourrait fort bien se solder par une liquidation, ce qui signifierait, en langage médiatique actuel, un effondrement.

Mais nous n’en sommes pas là, et nous devons plutôt étudier les caractéristiques (visibles et cachées) de la deuxième option que les gestionnaires croissancistes ont choisis : celle de la continuation sans dépôt de bilan, stratégie qui a un autre nom : la fuite en avant !

Car en fait, les gestionnaires de la société industrielle croissanciste se trouvent dans une situation et un état d’esprit similaire à ceux d’un chef d’entreprise qui constate le déficit de son entreprise mais décide de continuer l’activité à tout prix et quoi qu’il puisse lui en coûter.

Le proverbe qui dit que les forces vont toujours jusqu’au bout de leurs forces, trouve là son illustration la plus aiguë, doublée en la circonstance d’une bonne dose de déni.

Le fait que la réalité comptable puisse être masquée aux yeux des actionnaires par des tours de passe-passe d’écriture et de présentation tels que ceux dont nous avons abondamment parlé dans les chroniques consacrées à l’impasse comptable ne suffit toutefois pas à régler un problème crucial : celui du manque de liquidités.

Et c’est à ce moment précis qu’interviennent d’autres types de stratagèmes que nous allons nous attacher à identifier.

Mais, pour commencer cette investigation, revenons un instant à une question simple : que doit faire un bon gestionnaire d’entreprise pour résoudre un déficit ? Et, pour commencer, dans un premier temps avant de le résoudre cad avant de le faire disparaître, que doit-il faire pour le réduire ?

Monsieur de La Palisse répondrait qu’il suffit de transformer un processus économique déficitaire en un processus bénéficiaire, c’est à dire en un enchaînement d’opérations techniques et commerciales qui dégagent, au bout de la chaîne, un excédent de gestion capable de compenser en montant celui du déficit antérieurement cumulé.

C’est effectivement la meilleure façon de régler un problème déficitaire, mais c’est surtout la seule, et pour la bonne raison qu’il n’y en a tout simplement pas d’autre ! Restons dans les lapalissades, cela repose l’esprit de temps en temps.

Et pourtant, la réalité du comportement des gestionnaires de la société industrielle prouve que, face à une situation de déficit d’exploitation avéré et persistant, ils improvisent d’autres stratégies que celle qui tombe naturellement sous le sens.

Ces gesticulations censées remplacer le retour au sain excédent de gestion (seul moyen de réduire un déficit répétons-le inlassablement) sont bien connues des entrepreneurs en difficulté qui cherchent, eux-aussi, à s’exonérer des dures lois de l’arithmétique comptable en investiguant du côté des montages financiers plus ou moins sophistiqués.

Montage financier ! Ainsi le terme “montage financier” est lancé, terme que nous pourrions également dénommer artifice, stratagème, passe-passe, astuce, combine, ficelle, manœuvre, roublardise, rouerie, ruse, subterfuge, tour, truc ou pourquoi pas, après tout : magie !

Cette opération magique à laquelle tout gestionnaire en difficulté financière rêve de pouvoir accéder, consiste tout simplement à repousser au lendemain le problème insoluble qui se pose le jour même.

Car, en l’espèce, les gestionnaires de la société industrielle se trouvent bien confrontés à un problème insoluble (cad une impasse) qui peut se résumer à l’impossibilité d’augmenter la combustion de la (méga)machine, parce que alimentée par un carburant dont la disponibilité va inexorablement diminuer.

Ce type de problème est également bien connu de certains entrepreneurs ordinaires qui voient la petite usine qu’ils ont patiemment construite de leurs mains devenir progressivement et irrémédiablement incapable de maintenir sa rentabilité.

Bon nombre de ces entrepreneurs aux abois refusent alors la réalité et s’engouffrent dans des dispositifs de fuite en avant dont le seul objectif est de passer l’année, en attendant la suivante, puis la suivante, et ainsi de suite,…

Ces dispositifs commencent par la sollicitation d’un prêt bancaire en maquillant la réalité comptable pour rassurer l’organisme prêteur et continuent par des demandes de crédits fournisseurs accordés ou non (ce dernier cas se nomme retard de paiement).

Ils s’enchaînent ensuite par la recherche de nouveaux prêts auprès d’autres organismes pour pouvoir rembourser ceux sollicités auprès des premiers (technique trivialement dénommé cavalerie), le tout en espérant qu’entre temps, un miracle viendra rétablir la situation.

Or, tous ces dispositifs fallacieux utilisés par certaines entreprises, qui ne sont finalement rien d’autre que des filiales de la société-mère (la société industrielle), sont également utilisés par la société-mère (la société industrielle), à cette différence près que, lorsque c’est l’entreprise-filiale qui y a recours, la fin est généralement toute proche, alors que si c’est la maison-mère qui en use, les choses peuvent durer beaucoup plus longtemps et nous allons voir pourquoi.

Arrivés à ce stade de l’enquête, nous avons donc bien compris que l’objectif des gestionnaires de la société industrielle croissanciste n’était pas de régler le problème du déficit de fonctionnement lié à l’impasse physique de leur activité (puisqu’il est par nature inéluctable) mais plutôt de faire durer la situation le plus longtemps possible sans que personne ne s’en aperçoive, dans l’attente soit d’un miracle, soit d’un délai susceptible de couvrir, à minima, leur durée de vie personnelle, la deuxième option étant la plus crédible.

Et pour ce faire, les gestionnaires de la société industrielle disposent de moyens beaucoup plus puissants et sophistiqués que les entrepreneurs ordinaires.

Alors quels sont donc ces moyens et comment les ont-ils pu les mettre en œuvre ? Car une question fondamentale se pose : si ce déficit camouflé existe bel et bien comment est-il financé ?

Avant de répondre à cette question, nous devons insister sur le fait que l’opération qui consiste à financer un déficit n’est absolument pas synonyme de celle qui vise à le réduire, et encore moins à le solder.

Lorsque nous disons financer un déficit, nous parlons de la mise en place d’un dispositif qui va permettre à une entreprise de continuer à fonctionner tout en continuant à conduire une exploitation structurellement déficitaire, mais sans déposer son bilan, ni faire faillite de façon officielle.

En réalité, l’opération consistant à financer un déficit est très proche de l’opération consistant à masquer un déficit. Disons que la première, le financement de déficit poursuit un objectif plus technique, visant à rassurer les acteurs internes, alors que la seconde, le masquage est plus politique et vise tout simplement à tromper le grand public.

Nous parlerons de toutes ces techniques dans la prochaine chronique intitulée : les artifices financiers de masquage du déficit.

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