Le biorégionalisme : de gauche ou d’extrême droite ?

Il existe de multiples écologies politiques, il n’existe pas un biorégionalisme unifié, mais il y a des biorégionalismes de droite, d’extrême droite, du centre et de gauche et d’extrême droite. Mathias Rollot considère qu’on peut observer aussi des biorégionalistes antispécistes, antiracistes, anticapitalistes, antidéterministes et antinationalistes[1]. Jonathan Olsen fait remarquer que ce qui différencie le biorégionalisme de gauche, de celui d’extrême droite, c’est qu’il se préoccupent de la dimension démocratique, qu’il n’associe pas les communautés biorégionales aux Etats existants et qu’il ne s’avère pas anti-immigration.

C’est l’écologiste nord américain Peter Berg (1937-2011) qui créa la notion de biorégion” dans les années 1970. Le paysagiste Robert Thayer en fournit une définition synthétique : “littéralement et étymologiquement parlant, une biorégion est un “lieu de vie” […] – une région unique qu’il est possible de définir par des limites naturelles (plus que politiques), et qui possède un ensemble de caractéristiques géographiques, climatiques, hydrologiques et écologiques capables d’accueillir des communautés vivantes humaines et non humaines uniques. Les biorégions peuvent être définies aussi bien par la géographie des bassins-versants que par les écosystèmes de faune et de flore particuliers qu’elles présentent ; elles peuvent être associées à des paysages reconnaissables (par exemple, des chaînes de montagnes particulières, des prairies ou des zones côtières) et à des cultures humaines se développant avec ces limites et potentiels naturels régionaux. Plus important, la biorégion est le lieu et l’échelle les plus logiques pour l’installation et l’enracinement durables et vivifiants d’une communauté »[2].

Quant à l’urbaniste Alberto Magnani il formule l’idée de la « biorégion urbaine afin de réinventer la ville et faire la promotion d’un écologie culturelle autour de trois grands axes. 1) Il cherche à harmoniser la ville avec les biens communs naturels (terre, eau, forêt…) et les caractéristiques naturelles (géologiques, hydrologiques, écologiques du lieu, le paysage…). 2) Il prend en compte l’histoire, la culture (infrastructures) et les savoirs locaux, les techniques de construction traditionnelle (telles les terrasses cultivées à flanc de montagne en Ligurie, qui préservent des déferlements de boue), mais en relation avec la technologie d’aujourd’hui. 3) Il fait aussi la promotion de l’autogouvernement de la biorégion par la démocratie participative, voire l’autogestion démocratique, dans une perspective d’autonomie[3]. Son approche ne s’avère pas très éloigné du municipalisme de Bookchin, mais sans sa dimension économique écocommuniste anticapitaliste. On peut sans doute classer le biorégionalisme de Magnani, dans une écologie sociale-démocrate économiquement et fédéraliste autogestionnaire démocratiquement. Magnani entend donc dépasser la dichotomie entre le territoire conservé (le patrimoine) et le territoire livré à l’économie marchande. Pour y parvenir, il propose un fédéralisme alimentaire, c’est à dire le recherche de l’autonomie alimentaire, grâce à une agriculture urbaine et périurbaine. Cependant, cela ne s’avère réalisable qu’avec des villes relativement petites.

Laurent Ozon est un homme politique d’extrême droite. Il fut membre du bureau politique du Front National dirigé par la famille Le Pen. Puis il a fondé le parti localiste « Maison Commune », dans une perspective, localiste, biorégionaliste ethniciste et essentialiste. Il défend de plus un « protectionnisme localiste ». C’est à dire un localisme dont le protectionnisme se fonde sur des échelles géographiques (tel le local, le régional…), plutôt que sur les frontières. Le point commun entre le localisme d’extrême droite et la relocalisation solidaire relève de la relocalisation. Par contre, la différence fondamentale, c’est que cette relocalisation ne se fait pas sur base essentialiste, ethniciste et donc raciste. D’autre part, la relocalisation solidaire suppose une redistribution des richesses en direction des plus pauvres et vise une diminution de l’impact environnemental lié aux transports.

Olsen estime que les biorégionalistes expliquent principalement les problèmes environnementaux par l’éloignement et le non-respect avec les lois naturelles[4]. Cependant, il peut s’agir des lois naturelles de la biologie végétale et de la géologie. Par contre, les écologistes de gauche considèrent que les structures sociales et culturelles sont aussi à la source des problèmes environnementaux et qu’il ne s’agit pas uniquement le non-respect des lois naturelles.

Dianne Meredith critique la vision de la « région unitaire » culturellement, puisque que les régions se composent d’identité multiple. De plus, que les zones culturelles sont difficiles à délimiter, car chaque personne et chaque communauté se composent d’identités multiples[5]. Concernant l’individu, elle s’oppose à la vision de « l’identité singulière », car elle considère que chaque individu est constitué de plusieurs cultures dans des proportions variées et non d’un culture unique.

Dianne Meredith s’oppose à l’idée d’une « région naturelle », car les cultures débordent généralement délimités par les reliefs de la géographie. Par conséquent, un lieu n’est pas déterminé complètement par sa géologie et peut générer plusieurs cultures et non pas une seule. Tout au long de son histoire Jérusalem, la culture hébraïque a ainsi été remplacée par la culture romaine, turque, musulman, chrétienne, hébraïque à nouveau… Néanmoins, ces cultures ont pris une forme et des expressions légèrement différentes des autres branches de leur culture, notamment à cause de la géographie du lieu (l’ensoleillement, les précipitations, l’altitude, l’accessibilité, les ressources du sol…). Chaque lieu dispose bien de caractéristiques particulières uniques, qui génère une atmosphère unique, un génie du lieu spécifique de nature géologique et végétale (et non spirituel). Cela influe la vie, donc les pratiques et finalement la culture d’un peuple. Néanmoins chaque peuple peut choisir librement de le teinter de ses propres choix culturels.

Le danger de l’approche culturelle de la biorégion consiste à essentialiser un lieu. C’est à dire le fait de considérer que chaque lieu produirait qu’un type de culture. Par conséquent, chaque peuple appartiendrait à un lieu, sa culture serait déterminée uniquement par le génie du lieu, l’esprit de la place. Ce peuple en serait donc le propriétaire pour l’éternité, tel un élu de dieu pour les monothéistes ou comme le déterminisme du génie du lieu, de l’esprit du lieu pour les animistes. Dans cette perspective, les étrangers ne sont pas les bienvenus, car ils viendraient perturber l’identité culturelle locale. Nous ne sommes plus très loin de l’approche traditionnaliste et conservatrice de certains groupes d’extrême droite, qui revendiquent par exemple une histoire exclusivement chrétienne de la France ou de l’Europe. Or, ils oublient parfois, qu’ils existaient avant une culture chamaniste avec le peuple gaulois et celte. Auparavant, les populations mégalithiques qui ont bâtis auparavant les menhirs et les dolmens en France et en Europe étaient aussi animistes mais pas celte. Il y a aussi des mouvements d’extrême droite qui revendiquent pour la France une origine celte, une culture païenne, polythéiste indo-européenne, telle la revue Eléments d’Alain De Benoist.

Ainsi, chaque lieu peut être traversé et voir fleurir des cultures variées tout au long de son histoire, même si la géographie du lieu colore, influence, détermine en partie seulement ces cultures. Pour un animiste l’âme du lieu est prépondérante, tandis que pour un matérialiste, les comportements humains sont régis par des déterminismes culturels et socio-économiques, ou/et par la liberté humaine domine. En réalité, quelques soit les visions du monde, on observe, qu’il existe toujours une part de déterminisme géographique, social, économique et une part de liberté culturelle pour chaque lieu, ville, région, nation et continent.

Il peut aussi être un nationalisme défensif (protectionniste, limitation de l’immigration) ou un nationalisme offensif (l’impérialisme, le néocolonialisme…). Comme précédemment, le nationalisme peut aussi s’avérer de gauche. Ainsi, au plan économique, une politique socialiste nationaliste (qu’il s’agisse du capitalisme social ou du socialisme réel) peut exercer une redistribution des richesses et assurer une égalité des droits (sociaux, politiques, économiques…) dans sa nation, tout en menant une politique inégalitaire d’exploitation prédatrice (impérialiste) vis-à-vis des peuples des nations étrangères.

Il y a dans ce cas une incohérence au plan de la philosophie politique entre la volonté d’égalité nationale et l’inégalité au plan international, liée à l’exploitation des autres pays (généralement les plus pauvres). Néanmoins c’est approximativement le projet du mouvement « Aufstehen », en Allemagne, crée en septembre 2018 et dirigé par Sahra Wagenknecht. Cette incohérence peut néanmoins s’expliquer, par la volonté de défendre et de privilégier ses propres citoyens, sa communauté et sa culture. Ainsi, au nom de la protection de sa culture, un gouvernement socialiste peut tenter de justifier, qu’il exerce une égalité à deux vitesses entre sa nation et les autres nations. Par conséquent, ce type de politique nationaliste socialiste relève d’un socialisme bancal ou limité, car relativement incohérent.

[1] ROLLOT Mathias, Les territoires du vivant. Un manifeste biorégionaliste, Paris, François Bourin, 11 octobre 2018, 246 p.

[2] THAYER, R. 2003. LifePlace. Bioregional Thought and Practice, Berkeley : University of California Press.

[3] MAGNAGHI Alberto, Petit traité sur le territoire comme bien commun, Eterotopia, 2014.

[4] OLSEN Jonathan, “Bioregionalism and Right Wing Ecology in Germany”, Landscape Journal, n° 19, p. 80.

[5] MEREDITH Dianne, “The Bioregion as a Communitarian Micro-region (and its limitations)”, Ethics Place and Environment, Vol. 8, N°1. Mars 2005. p. 87

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