Le monde de la croissance selon Jean Laherrère

Interview de Jean Laherrère réalisée par Christian Laurut le 27 septembre 2014 – Textes & graphiques – Jean Laherrère

Jean Laherrère, géologue géophysicien pétrolier a travaillé pendant 37 ans pour la Compagnie Française des Pétroles, devenue Total par la suite. Il a été l’auteur remarqué d’un article dans la revue Scientific American en 1998 intitulé « The End of Cheap Oil » (« la fin du pétrole bon marché »). Ancien élève de l’École polytechnique, ses travaux sur les études de sismique réfraction ont contribué à la découverte du plus grand champ pétrolifère d’Afrique. Mis a la retraite par Serge Tchuruk en 1991 à l’âge 60 ans, alors qu’il comptait rester jusqu’à 65 ans,  il a néanmoins continué a travailler bénévolement en donnant des conseils dans le monde entier sur l’avenir de l’exploration et de la production du pétrole et du gaz naturel. Il est cofondateur et membre actif de l’Association for the Study of Peak Oil and Gas (association pour l’étude des pics pétrolier et gazier), et considérait (en 2014 date de l’interview) qu’à 83 ans, il travaillait autant qu’a 60.

Christian Laurut : 1-Vous êtes co-fondateur avec l’américain Colin Campbell, de l’ASPO, Association for the Study of the Peak Oil, pouvez-vous nous rappeler l’historique de cet organisme et sa vocation ?

Jean Laherrère :

– Rapports de baseLaherrère J.H., A.Perrodon, G.Demaison 1994 “Undiscovered Petroleum Potential” Petroconsultants report, 383p / C.J.Campbell, Laherrère J.H. 1995 “The world’s oil supply -1930-2050” Petroconsultants report, Oct ., 650p, CD-ROM / Laherrère J.H. , A.Perrodon, C.J.Campbell 1996 “The world’s gas potential” Petroconsultants report July, 200p, CD-ROM / Perrodon A., Laherrère J.H. , C.J.Campbell 1998 “The world’s non-conventional oil and gas” Petroleum Economist March report 113p

– Présentation au publicArticles de base : Campbell C.J, Laherrère J.H. 1998 “The end of cheap oil” Scientific American March p80-85 – http://dieoff.com/page140.htm –  Campbell C.J, Laherrère J.H. 1998 « La fin du pétrole bon marché » Pour la Science Mai

– Actions : Colin Campbell crée le terme peak oil et ASPO = Association for the Study of Peak Oil and gas en 2001 / Peak oil (pétrole avec un pic) et non Oil peak (pic du pétrole) car ASPO sonne mieux qu’ASOP

– Conférences internationales : Uppsala 2002 / Paris 2003 / Berlin 2004 / Lisbonne 2005 / Pise 2006 / Cork 2007 / Barcelone 2008 / Bruxelles 2011 / Vienne 2012

– Lettre mensuelle de Colin Campbell n°1= Janvier 2001, dernière n°100 = avril 2009

– Site http://www.peakoil.net/

Création ASPO nationaux : France (http://aspofrance.org), Belgique, Espagne, Portugal, RU, Irlande, Pays-Bas, Suède, US, China, au total une trentaine

ASPO France est une association à but non lucratif poursuivant 3 objectifs principaux :

  • Informer sur les ressources mondiales de pétrole et de gaz naturel et leurs incertitudes
  • Expliquer la réalité du phénomène de déplétion
  • Etudier la déplétion et ses conséquences en tenant compte de la demande en énergie ainsi que des aspects technologiques, économiques, sociaux et politiques

« ASPO a atteint son but » (James Schlesinger ex Secretaire à l’énergie 2007 « ASPO has won »)

Christian Laurut  : 2- Les analystes distinguent aujourd’hui le pétrole « conventionnel du pétrole « non conventionnel »,   comment peut-on catégoriser ces deux types de pétrole de façon simple et claire pour le grand public ?

Jean Laherrère : Les réserves restantes mondiales qui sont publiées sont politiques (OPEP) ou financières (règles de la SEC bourse US) bien que dites prouvées et sont radicalement opposées depuis 1980 avec les réserves techniques confidentielles (2P= prouvées +probables)

Il est incorrect d’ajouter les réserves 1P des champs pour obtenir les réserves du pays (ou du monde) : le total sous-estime considérablement la réalité. Seules les réserves 2P peuvent être correctement ajoutées.

Christian Laurut  : 3- En terme de pétrole conventionnel, il semble que la très sérieuse AIE (Agence Internationale de l’Energie), que l’on ne peut soupçonner de collusion avec l’ASPO, admette que le pic est déjà atteint et que le maintien de la production à 84/85 millions de barils/jour n’est dû qu’au complément apporté par le pétrole non conventionnel. Partagez vous cette analyse ?

Jean Laherrère : Il n’y a pas de consensus sur la définition de conventionnel. Campbell exclut heavy, arctic, deepwater, je n’exclus que les extra-lourds. Le “oil supply” des données USDOE/EIA peut être soit brut +condensat (bleu), soit brut+ liquides des gaz (violet) soit tous liquides en ajoutant les gains de raffinerie et les XTL (X to liquid) X =charbon, shale, gaz, biomasse

Prévisions AIE/WEO 2012

Toutes les prévisions officielles EIA, IEA, BP, OPEP ne prévoient pas de pic mais BAU = business as usual

Christian Laurut : 4- On entend parler de gaz de schiste, d’huile de schiste, de roche mère, etc.. Toutes ces appellations sont-elles synonymes ? Ce fameux gaz de schiste est-il réellement nouveau et pourquoi n’a t-il pas été exploité avant ?

Jean Laherrère : les premières productions d’huile lourde et schiste bitumineux mondiales sont françaises : Pechelbronn et Autun. La France est un des premiers producteur mondiaux déclarés de pétrole entre 1810 et 1859

Première production gaz US = Fredonia en 1821 Etat de NY du gaz de schiste pour l’éclairage en concurrence avec l’huile de baleine qui coutait 300 $2013/b. Le prix du brut (en $2013) en fonction de la production (brut +condensat) montre un mur à 78 Mb/d et un plafond à 120 $2013/b.

Christian Laurut : 5- Le pétrole non conventionnel, et plus particulièrement l’huile de roche mère, est donc présenté aujourd’hui comme capable de compenser le déclin du pétrole conventionnel. Suite à de nombreuses communications dans les médias, les USA sont présentés comme devant récupérer bientôt le premier rang mondial des producteurs de pétrole, et de ce fait faire oublier la prévision du pic pétrolier. On entend désormais couramment dans les conversations que l’approvisionnement pétrole n’est plus un problème et qu’on en a encore pour des centaines d’années grâce à l’huile de roche mère. Qu’en est il exactement ?

Jean Laherrère : Les champs « conventionnels » ne vont récupérer que 1% des hydrocarbures générés par la roche mère, laissant 99% dans les sédiments ou perdus à la surface ou par érosion. Le pétrole de roche-mère concerne donc des volumes considérables de ressources, mais qui ne peuvent pas être considérées comme des réserves car elles ne pourront être produites économiquement. Les roches-méres non perméables ne produisent que les HC qui se trouvent dans les fractures. La fracturation permet de produire rapidement les volumes des fractures mais le déclin est très rapide 65% la première année. Les pétroles de roche mères US sont le Bakken North Dakota et l’Eagle Ford (Texas).

Christian Laurut : 6- Quelle est votre analyse de la courbe de production mondiale de l’huile de roche mère et, plus particulièrement, du gisement de Bakken aux Etats Unis ? Avez vous un pronostic daté pour son pic de production ?

 

Christian Laurut : 7- De façon plus générale, et compte tenu de l’apport du pétrole non conventionnel, de combien d’années estimez vous que le Peak Oil pourrait être repoussé ?

Jean Laherrère : je parle plutôt de plateau ondulé et non pic. L’incertitude sur présent = + ou – 2 Mb/d

Christian Laurut : 8- Dans son ouvrage « La Décroissance »  Nicholas Georgescu Roegen écrit : l’histoire économique confirme un fait assez élémentaire, à savoir que les grands bonds du progrès technologique ont généralement été déclenchés par la découverte de la maîtrise d’une nouvelle forme d’énergie accessible. Par ces propos, il semble contester la prépondérance du fameux génie humain dans le catalogue des raisons ayant présidées au développement technologique, pour en laisser la primauté à l’existence des ressources naturelles. Partagez vous ce point de vue, ou au contraire, comme les libéraux par exemple, pensez que le génie de l’homme sera toujours capable de découvrir d’autres moyens pour faire perdurer la civilisation technologique et industrielle ?-

Jean  Laherrère : Paul Valery 1931 : le temps du monde fini commence

Christian Laurut : 9- Avant la révolution industrielle les ressources naturelles paraissaient incommensurables et elles furent considérées par les économistes d’alors comme « un flux et non comme un stock ». Pensez-vous qu’aujourd’hui tout le monde à changé d’avis sur ce point et que plus aucun économiste ne considère les ressources naturelles comme un flux ?

Jean Laherrère : Les économistes croient à la technologie mais ils n’écoutent pas les techniciens. L’économie est plus importante que la technologie dans les shale oil et shale gas

Christian Laurut : 10- L’opinion publique a tendance à assimiler la notion de ressource « inépuisable » avec celle de ressource « renouvelable ». Faites vous une différence entre les deux et si oui laquelle ?

Jean Laherrère : Ce qui importe ce sont les réserves = ressources qui seront produites = ressources récupérables. Il ne faut pas confondre réserves et ressources

Christian Laurut : 11- Concernant le groupe des ressources naturelles énergétiques censées suppléer au déclin du pétrole, pouvez vous nous donner votre opinion sur l’avenir de l’utilisation par l’homme : du charbon, du gaz, du soleil, du vent, de la gravité (hydro électricité), de l’uranium (nucléaire) – fusion nucléaire, de l’hydrogène – Pile à combustible, de la biomasse.

Jean Laherrère : Le problème démographique est plus important que celui des ressources. Prévision population mondiale en 2100. UN = 10,9 G fourchette 9,6-12,3. IIASA = 9,2, en dehors fourchette UN

Christian Laurut : 12- Le concept de croissance est intimement lié à la notion de richesse. L’acquisition par l’homme d’une richesse toujours plus grande est même son principal objectif dans la société croissante actuelle. Cette richesse se concrétise notamment dans le développement du secteur tertiaire qui, en France constitue 80% du PIB et emploie 75% des actifs. Comment voyez vous l’avenir de ce secteur tertiaire, avenir sur lequel comptent bon nombre d’économistes pour maintenir la croissance ?

Jean Laherrère : Le PIB est manipulé, notamment aux US  : introduction du facteur hédonique pour l’informatique en 1998, dépenses artistiques en 2013 = +3%, Union Européenne   dépenses drogue et prostitution au 1er Sept 2014. Le PIB varie suivant les auteurs, les unités et l’époque.

Jean Laherrère : Notre société de consommation est basée sur l’énergie bon marché, qui disparaît depuis 2008 (annoncé en mai 1998 Pour la Science n°247) et qui demande de changer de mode de vie. Les services devront augmenter dans la « nouvelle société » mais il faut les financer : il faut tout repenser avec une énergie chère, ce qui n’est pas fait !

Christian Laurut : 13- La propagande officielle et la quasi totalité des médias valident les rapports du GIEC à propos d’un éventuel réchauffement climatique dû à l’activité humaine. Etes vous plutôt convaincu ou plutôt sceptique par rapport à ces prédictions et préconisations et comment analysez vous le rôle du GIEC ?

Jean Laherrère : Les modeles du GIEC sont des « histories énergétiques » et démographiques rédigées par des économistes en 1998 (comme l’a dit son auteur DR Nakicenovic IIAS) et non des prévisions. Elles sont fausses pour le passé et irréalistes pour le futur, ignorant les prévisions officielle.

 

Dans l’émission C dans l’air du 23 septembre 2014  « plus de canicules plus d’inondations » – 33 minutes de Jean Jouzel VRP du GIEC – « le rendement du blé n’augmente plus ou un peu depuis 15 ans, du au changement climatique, trop chaud, trop sec » – C’est faux de 2003 & 2013 le rendement du blé a augmenté de 23% alors que le CO2 n’augmentait que de 6%, mais le rendement des plantes augmente avec le CO2 (les fleurs dans les serres de Hollande sont avec un CO2 à 1000 ppm). Le rendement des céréales augmente alors que depuis 1998 les températures sont sur un plateau ondulé. Jouzel ment ou répète des idées fausses en ignorant les bons graphiques.

Christian Laurut : 14- Un des problèmes corrélatifs à la société industrielle est la pollution, pensez vous qu’il faille élargir ce concept à celui de « dégradation du système ». Si oui, quel lien faites vous entre les pollutions bien connues, je dirai même classiques, générés par les différents processus de production et les divers usages à la consommation, d’une part, et le deuxième principe de la thermodynamique redéfini par Nicolas Georgescu Roegen dans la notion d’entropie ?

Jean Laherrère : Je suis un artisan qui trace des graphiques pour essayer de comprendre la Nature et j’ai besoin de données. Il n’y a pas de base de données sur l’entropie ni sur l’energie utile (énergie). Une théorie n’est véritable que si elle vérifiée par la pratique (base de données)

Christian Laurut : 15- Pensez vous qu’aujourd’hui l’homme (de la rue) a tendance à se considérer comme étant plus fort que la nature ?

Jean Laherrère : Un seul orage génère des énergies équivalentes à des centaines de bombes nucléaires. Homo existe depuis un million d’années, Homo Sapiens depuis 100 000 ans mais il disparaitra alors que la Nature sera encore là

Christian Laurut : 16- L’homme moderne a également tendance à se considérer plus fort que l’homme préhistorique ? Certaines études récentes indiquent cependant que l’homme moderne serait inférieur à l’homme préhistorique tant sur le plan physique que sur le plan intellectuel. Qu’en pensez vous ?

Jean Laherrère : J’ai visité les vraies grottes de Lascaux, puis j’ai visionné les grottes Chauvet, j’ai un grand respect pour l’homme préhistorique. L’homme moderne ne survivrait que quelques jours dans la nature. J’ai exploré pour le pétrole  sous la tente dans des déserts a +45 ° et – 45°, cela ne se fait plus !

Christian Laurut : 17- On prévoit 9 milliards d’humains pour 2050, c’est à dire demain. Comment voyez vous l’évolution de la courbe démographique dans un contexte de diminution des ressources naturelles disponibles ?

Jean Laherrère : Les prévisions de population se font d’après les prévisions de fécondité et les différences entre natalité et mortalité. La science a introduit la médecine moderne et a changé complètement la mortalité. Les prévisions UN supposent que la fécondité mondiale tendra pour tous les pays vers le taux de remplacement : c’est un vœu pieux mais irréaliste. La fécondité dépend de l’éducation des jeunes filles mais les progrès de l’éducation pour les filles sont freinés par les talibans.

En 2010 de nombreux pays ont une fécondité supérieure à 6 enfants par femme et en augmentation pour certains (Zambia)

Il est très difficile d’extrapoler la croissance (en % ou en nombre) de la population, car les données sont peu fiables, variant avec les sources.

Christian Laurut : 18- Considérez comme inéluctable le déclin industriel ? Si oui, quand prévoyez vous le début de ce déclin et quelles en seront les premières manifestations ?

Jean Laherrère : On doit changer de mode de vie la société de consommation qui gaspille doit devenir une société économe et l’industrie doit évoluer vers des objets plus utiles, plus durables

Christian Laurut : 19- Quels seraient, à votre avis, les métiers d’avenir dans un contexte de décroissance économique dû à la déplétion des ressources naturelles ?

Jean Laherrère : Pour faire des économies d’énergie il faut favoriser le local (approvisionnement, travail & loisirs), l’isolation des bâtiments, la télécommunication

Christian Laurut : 20- Les écologistes actuels prétendent réussir à préserver un développement durable. Pensez vous qu’ils puissent y parvenir et de quelle façon ?

Jean Laherrère : Le terme « durable » est la mauvaise traduction de “sustainable”. Rien n’est durable dans un monde fini. Il faut un développement qui économise l’énergie. Il faut aussi un monde juste : le diesel en France devrait être taxé autant que l’essence au niveau énergie (le diesel plus lourd est 7% plus énergétique que l’essence). La niche fiscale du diesel est de 12 G€ par an (total cumulé 200 G€) ; de plus les nanoparticules venant du diesel tuent ! Mais personne ne propose de faire disparaître cette inégalité énorme : c’est une spécialité française : on ne touche pas aux privilèges en France ! 1789 est loin !

Christian Laurut : 21- Que pensez vous des différents mouvements décroissant actuels ? Sont-ils dans la bonne voie, pour le présent et le futur ?

Jean Laherrère : Il faut toujours définir de quoi on parle, aussi bien pour la croissance que pour la décroissance. La décroissance des crimes, des maladies, de la faim, de l’obésité seraient de bons objectifs, de même que la croissance de l’emploi et du bien-être.

Christian Laurut : 21- Que préconisez vous pour tout de suite ? Pensez vous que des mesures puissent être prises au niveau de l’Etat tel qu’il est actuellement ou pensez vous qu’il faudrait réformer le système collectif en profondeur, et par quelle action politique ?

Jean Laherrère : Dans le sport mondial il y a des règles, des arbitres et des cartons rouges. Il en faut de même pour le monde des affaires. Il faut surtout des données fiables, accessibles par tous gratuitement. Comme au Royaume-Uni avec le “Freedom Information Act” toute donnée collectée par un fonctionnaire devrait être disponible sur Internet.

Le monde politique, dans son ensemble, ment et cache la vérité.


Interview vidéo complet de Jean Laherrère (67mn)

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