Le processus économique coûte plus qu’il ne produit

Extrait de  “Demain La Décroissance – Entropie – Écologie – Économie” de Nicholas Georgescu Roegen (Traduction de Jacques Grinevald et Ivo Rens)

Troisième partie – Le processus économique coûte plus qu’il ne produit

Grâce au mémoire de Carnot, le fait élémentaire que la chaleur s’écoule par elle-même du corps le plus chaud au corps le plus froid a acquis une place parmi les vérités reconnues par la physique. Plus important encore a été par la suite la reconnaissance de la vérité complémentaire suivante : une fois que la chaleur d’un système clos s’est diffusée au point que la température est deve­nue uniforme dans le système tout entier, la diffusion de la chaleur ne peut être inversée sans intervention extérieure. C’est ce qui arrive avec des cubes de glace dans un verre, qui, une fois fondus, ne se reformeront pas d’eux-mêmes. D’une façon générale, l’énergie thermique libre d’un système clos se dégrade continuellement et irrévocablement en énergie liée. L’extension de cette pro­4priété de l’énergie thermique à toutes les autres formes d’énergie conduisit au Deuxième Principe de la Thermodynamique, appelé aussi la Loi de l’Entropie. Cette loi stipule que l’entropie (c’est-à-dire la quantité d’énergie liée) d’un système clos croît constamment ou que l’ordre d’un tel système se transforme continuellement en désordre.

La référence à un système clos est fondamentale. Représentons-nous un tel système, soit une pièce avec une cuisinière électrique et une casserole d’eau qui vient de bouillir. Ce que la Loi de l’Entropie nous apprend tout d’abord, c’est que la chaleur de l’eau bouillie se dissipera continuellement dans le systè­me. Pour finir, ce dernier parviendra à un équilibre thermodynamique, c’est-à-dire à un état dans lequel la température est partout uniforme et où toute l’énergie est liée. C’est ce qu’il advient de toute espèce d’énergie dans un système clos. L’énergie chimique libre d’un morceau de charbon, par exemple, se dégradera finalement en énergie liée même si le charbon reste dans la terre. L’énergie libre subira le même sort dans tous les cas.

Cette loi nous apprend aussi que, une fois l’équilibre thermodynamique atteint l’eau ne commencera pas à bouillir d’elle-même. Mais, comme chacun le sait nous pouvons la refaire bouillir en allumant la cuisinière. Il n’en résulte pas pour autant que nous avons vaincu la Loi de l’Entropie. Si l’entropie de la pièce a baissé par suite de l’écart de température causé par l’eau bouillante, c’est seulement parce que de la basse entropie a été transférée de l’extérieur à l’intérieur du système. Et si nous incluons le réseau électrique dans ce systè­me, l’entropie du nouveau système ainsi constitué doit avoir augmenté comme le veut la Loi de l’Entropie. Cela signifie que la baisse de l’entropie de la pièce n’a pu être obtenue qu’au prix d’un accroissement plus important de l’entropie ailleurs.

Certains auteurs,   impressionnés par le fait que les organismes vivants restent presque inchangés pendant de courtes périodes de temps, ont avancé l’idée que la vie échappe à la Loi de l’Entropie. Certes, il se pourrait que la vie eût des propriétés irréductibles aux lois physiques ; mais l’idée même qu’elle pourrait violer les lois régissant la matière – ce qui est tout différent – relève de l’absurdité pure. La vérité est que tout organisme vivant s’efforce seulement de maintenir constante sa propre entropie. Et dans la mesure où il y parvient il le fait en puisant dans son environnement de la basse entropie afin de compenser l’augmentation de l’entropie à laquelle son organisme est sujet comme tout autre structure matérielle. Mais l’entropie du système total, constitué par l’organisme et son environnement ne peut que croître. En réalité, l’entropie d’un système croît plus vite s’il y a de la vie que s’il n’y. en a pas. Le fait que tout organisme vivant combat la dégradation entropique de sa propre structure matérielle peut bien constituer une propriété caractéristique de la vie, irréduc­tible aux lois du monde matériel ; il n’en constitue pas pour autant une violation de ces lois.

Pratiquement tous les organismes vivent de basse entropie sous une forme trouvée immédiatement dans l’environnement. L’homme est l’exception la plus flagrante: il cuit la plus grande partie de sa nourriture et transforme aussi les ressources naturelles en travail mécanique ou en divers objets d’utilité. Ici encore, il nous faut éviter d’être induits en erreur. L’entropie du métal qu’est le cuivre est plus basse que celle du minerai dont il est extrait mais cela ne signi­fie pas que l’activité économique de l’homme échappe à la Loi de l’Entropie. Le raffinage du minerai est plus que compensé par l’accroissement de l’entro­pie de l’environnement. Les économistes aiment à dire que l’on ne peut rien avoir pour rien. La Loi de l’Entropie nous enseigne que la règle de la vie biologique et dans le cas de l’homme, de sa continuation économique, est beaucoup plus sévère. En termes d’entropie, le coût de toute entreprise biolo­gique ou économique est toujours plus grand que le produit. En termes d’entropie, de telles activités se traduisent nécessairement par un déficit.

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