Extrait de “Demain La Décroissance – Entropie – Écologie – Économie” de Nicholas Georgescu Roegen (Traduction de Jacques Grinevald et Ivo Rens)
Première partie – Le schéma mécaniste en économie
Il y a dans l’histoire de la pensée économique un événement bien curieux : des années après que le dogme mécaniste eut perdu sa suprématie en physique et son emprise dans le monde philosophique, les fondateurs de l’école néo-classique se sont mis à ériger une science économique sur le modèle de la mécanique pour en faire, selon l’expression de Jevons, « la mécanique de l’utilité et de l’intérêt individuel ». Et bien que la science économique ait beaucoup avancé depuis lors, rien de ce qui est intervenu n’a fait dévier la pensée économique de l’épistémologie mécaniste qui était déjà celle des ancêtres de la science économique orthodoxe. Preuve en est – et elle est éclatante – la représentation dans les manuels courants du processus économique par un diagramme circulaire enfermant le mouvement de va-et-vient entre la production et la consommation dans un système complètement clos. La situation n’est pas différente dans les instruments analytiques qui ornent la littérature économique orthodoxe ; eux aussi réduisent le processus économique à un modèle mécanique qui se suffit à lui-même. Le fait pourtant évident qu’entre le processus économique et l’environnement matériel il y a une continuelle interaction génératrice d’histoire ne revêt aucun poids pour l’économie orthodoxe. Il en va de même pour les économistes marxistes qui jurent au nom du dogme de Marx que tout ce que la nature offre à l’homme n’est que don gratuit. Quant au fameux diagramme de la reproduction introduit par Marx, il représente aussi le processus économique comme un ensemble absolument circulaire et se suffisant à lui-même.
Toutefois, des auteurs antérieurs avaient indiqué une autre direction, tel Sir William Petty lorsqu’il faisait valoir que le travail est le père et la nature la mère de toute richesse. Toute l’histoire économique de l’humanité prouve sans contredit que la nature elle aussi joue un rôle important dans le processus économique ainsi que dans la formation de la valeur économique. Il est grand temps, me semble-t-il, d’accepter ce fait et de considérer ses conséquences pour la problématique économique de l’humanité. Car ainsi que je tenterai de le montrer ci-après, certaines de ces conséquences revêtent une importance exceptionnelle pour la compréhension de la nature et de l’évolution de l’économie humaine.