Critique objective de la croissance – Chronique n°18. Qu’est-ce que la culture ?

Jeu 12/01/2023 à 14h – Série : Critique objective de la croissance – Rubrique : L’impasse culturelle – Chronique n°18. Qu’est-ce que la culture ?

Support de débat pour la réunion du 12/01/2023 à 14h00 sur https://meet.jit.si/decroissance

Nous allons parler aujourd’hui de culture. Mais qu’est-ce que la culture ? Dans les précédentes chroniques, nous avons étudié la façon dont l’homme visait à s’affranchir des diverses contraintes imposées par la nature et de tentait de l’asservir, en quelque sorte, pour son propre compte. Mais cette contingence subie, qu’il cherche finalement, depuis peu de temps,   à transformer en domination à son avantage, reste, en tout état de cause, un rapport de la chose créée à son créateur.

Ainsi, nous avons vu que, entré dans la civilisation industrielle, et mû par son incommensurable orgueil scientifique, l’homme ne voulait plus se satisfaire du simple rôle d’enfant de sa génitrice, mère Nature.

En dépit du fait que, en regard des résultats techniques obtenus ces derniers siècles, l’homme a incontestablement gagné sa place de meilleur bricoleur de la planète, concurremment à tous les autres êtres vivants créées par Dame Nature, largement devant le castor ou le chimpanzé par exemple,

Il n’en reste pas moins que l’homme aspire à être plus qu’un simple sujet écologique, l’adjectif écologique étant employé ici selon son acception exacte, c’est à dire relatif aux lieux et conditions d’existence des espèces vivantes et des rapports qu’ils établissent avec leur environnement, c’est à dire avec la Nature.

Eh bien oui, Car L’homo sapiens, devenu progressivement homo industrialis après la révolution néolithique, a entrepris la tâche grandiose de se créer une identité propre et distincte de celle qui ne le définissait autrefois que par rapport à sa dépendance à la nature, et c’est précisément cette identité propre que nous dénommerons : culture.

Culture, qui va évoluer au fil des âges en fonction d’un certain nombre de paramètres qui, en principe, se devront d’être toujours indépendants de la nature, comme par exemple, …. le mode de production économique choisi par la collectivité humaine à un moment donné, soit par exemple ……. la croissance.

Sur ce point, les théories divergent, en ce sens que certaines pensées privilégient l’évolution culturelle en tant que cause et source des changements sociétaux, alors que d’autres estiment, au contraire que les changements sociétaux sont engendrés par le fait d’un certain nombre de facteurs externes : climat, accessibilité des ressources, par exemple…. et que ce n’est qu’après coup qu’ils génèrent un changement culturel. C’est un vaste débat sur lequel nous aurons sans doute l’occasion de revenir.

Mais contentons nous, pour l’instant, de nous efforcer d’affiner notre définition du mot culture. Nous avons déjà posé un point important en disant que la culture est une création humaine ex nihilo, et qui désigne quelque chose de différent de la Nature.

Ce quelque chose de différent de la nature, au sens de différent de ce que la nature permet aux autres choses vivantes de faire , choses animales et végétales, c’est, bien entendu la connaissance, et plus encore la connaissance acquise par le raisonnement, ce que nous appelons « raisonnement » étant une faculté développée par l’homme au cours de son évolution, pour la raison principale qu’il s’est rendu compte que cette faculté était susceptible de lui conférer cette fameuse « identité propre » qui le distinguerait à jamais des choses exclusivement naturo-dépendantes, comme les plantes et les animaux, par exemple

Il est à noter que cette vision du phénomène culturel se rapproche étrangement de certaines définitions de la philosophie, et notamment de celle de Thomas. Hobbes qui écrit dans son « Léviathan » qu’il faut entendre par PHILOSOPHIE, la connaissance acquise par le raisonnement qui va de la façon dont une chose est engendrée jusqu’à ses propriétés, ou qui va des propriétés constatées aux voies possibles d’engendrer cette chose.

Philosophie et culture seraient donc finalement deux notions assez proches l’une de l’autre, voire identiques en tant que point de départ de toutes choses pour ce qui concerne l’agir humain, en dehors, bien entendu de l’inné, dont le contenu resterait néanmoins à déterminer, en tant que seul domaine commun avec l’espèce animale et tout entier contingenté par la nature.

Domaine de l’inné, objet par ailleurs de controverses entre les plus éminents philosophes, comme par exemple Descartes et Locke, le premier étant promoteur de l’innéisme, et le second célèbre contempteur, à cette nuance près que, pour Descartes, l’inné humain ne vient pas de la nature, mais de Dieu, ce qui ne le rapproche donc pas pour autant du règne animal.

Mais, bref, qu’il existe ou pas un inné humain, ce qui n’est pas à proprement parler notre propos d’aujourd’hui, ce qui est certain, par contre,   c’est que tout agir humain qui ne relève pas de l’inné, relève de la culture, la culture étant elle même la face opérationnelle de la philosophie, qui comme nous le savons tous, est la mère de toutes les sciences.

Certaines sciences dérivées, en effet, comme la sociologie, l’anthropologie, voire l’éthologie, définissent la culture de façon plus étroite comme « ce qui est commun à un groupe d’individus » et comme « ce qui le soude », c’est-à-dire ce qui est appris, transmis, produit et inventé. Nous voyons que nous sommes bien dans l’anti-nature, ou plus exactement dans le a-nature, (avec un « a » privatif), donc en fin de compte dans le spécifiquement humain.

Voici comment une organisation internationale comme l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) définit la culture :: « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ».

Cette définition de l’UNESCO nous amène tout d’abord à faire un ajustement et à dénoncer l’abus de langage, qui nous fait utiliser souvent le mot « culture » pour désigner presque exclusivement l’offre de pratiques et de services culturels dans les sociétés modernes, et en particulier dans le domaine des arts et des lettres, alors que l’UNESCO y ajoute :les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. Rien que ça !….

Mais ce réductionnisme communément admis n’est pas fortuit ni anodin, car il est, en réalité, le produit voulu du pouvoir coercitif qui a toujours cherché à contrôler l’évolution de la collectivité et, de ce fait, à l’intégrer dans sa politique législative. C’est ainsi qu’en France, par exemple, pour illustrer notre propos en terrain connu, les prémisses d’une politique culturelle datent des premiers siècles de la monarchie capétienne. Ainsi, c’est par exemple Saint Louis qui présida à la fondation de la Sorbonne avec Robert de Sorbon, en 1257.

A l’époque, cependant, la politique culturelle royale s’exprimait essentiellement sous l’aspect du mécénat, et ce n’est que sous François 1er, que fut fondée la première institution culturelle d’Etat : le collège de France. Cette politique prendra ensuite un aspect plus nettement patrimonial quand la monarchie marquera, notamment avec Louis XIV, son souci de l’entretien et de la conservation de ses bâtiments historiques.

Après la Révolution, la politique culturelle de L’Etat français prendra une nouvelle orientation, et sans cesser de veiller à la conservation du patrimoine national, favorisera la diffusion des arts et du savoir par la création de grandes écoles telles l’École nationale supérieure des beaux-arts, le Conservatoire national des arts et métiers, le Conservatoire de musique, le Muséum national d’histoire naturelle….

Puis en 1959, c’est le général De Gaulle qui créa le premier ministère autonome chargé non plus de gérer une politique des “Beaux-Arts” mais d’assumer un “rôle déterminant dans la nouvelle mission culturelle de la collectivité“. Voici donc qu’apparaît, pour la première fois, le mot « culture ».

Ce ministère (d’Etat) chargé des affaires culturelles, dirigé pendant dix ans sans discontinuer par André Malraux, avait pour mission de « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de français, d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent ».

Ces missions restèrent ainsi définies jusqu’en 1982, date à laquelle l’Union de la Gauche au pouvoir compléta cette formulation par l’ajout d’un objectif résolument social, « développer les pratiques et les enseignements artistiques, et contribuer au développement de l’éducation artistique et culturelle des enfants et jeunes adultes ». Objectif certes apparemment teinté de social (union de la gauche oblige..), mais force nous est de constater qu’il ne s’écarte pas l’acception réductrice « culture = beaux arts », acception dans laquelle il reste résolument confiné.

Et tout ceci pour quel résultat ?

Le ministère de la Culture lui-même a commandé deux enquêtes, en 1997 et 2008, sur les pratiques culturelles de nos compatriotes, synthétisées dans l’ouvrage d’Olivier Donnat « Pratiques culturelles des Français à l’ère numérique » publié aux éditions La Découverte.

L’auteur, qui est chargé de recherche au Département des études, de la prospective et des statistiques au ministère de la Culture, et qui peut être considéré comme le meilleur spécialiste interne de cette question, y reconnaît que «  au terme de plus trente ans de démocratisation scolaire, ….. l’allongement de la scolarité s’est accompagné d’un recul de la connaissance des auteurs ou artistes qui, il y an encore quinze ou vingt ans, figuraient parmi les noms les plus prestigieux de la culture scolaire ».

Dans cette même étude, il constate que : « le désir de culture fait place maintenant chez les adolescents à un anti-intellectualisme qui sévit même chez les enseignants. A tous les niveaux de connaissance, ils sont plus proches du pôle distractif, plus enclins à rejeter les patrimoniaux, plus porter à marquer leurs préférences pour les formes d’expression sans prétention intellectuelle ».

En se basant sur l’exemple de la France, il semblerait donc bien que ce remplacement déjà acquis de l’acception réductrice du terme « culture » par le terme « expression artistique », doive faire place désormais, dans notre société industrielle capitalise croissanciste à une deuxième réduction du terme « expression artistique », vers celui de « divertissement », et nous allons voir que cette translation marque bien, elle même, par contre, une réalité culturelle au sens générique et global du terme.

Mais revenons précisément à la définition générale de la culture (disons celle de l’UNESCO) qui, en résumé, désigne tout comportement, habitude, savoir, ou système de valeurs, transmis socialement et non par héritage génétique de l’espèce.

Cette culture, ainsi définie, comprendrait donc tout ce qui est considéré comme « acquisition de l’espèce », indépendamment de son héritage instinctif, considéré comme naturel et inné. Cette culture serait, en définitive, l’identité d’un peuple donné.

Mais, à l’intérieur même d’un peuple donné, il peut exister plusieurs cultures particulières et il n’est pas douteux, d’un point de vue sociologique, qu’il existe, au sein d’une même collectivité, des pratiques culturelles différentes selon l’espace et le temps, selon la position sociale occupée par les individus, selon le genre, selon le travail exercé, etc.

De manière plus précise, chaque pratique culturelle est étroitement liée aux représentations du groupe social considéré. Ainsi, chaque individu, étant donné qu’il est un produit socio-historique, un homme vivant parmi d’autres hommes, éduqué d’une certaine façon et habitué à des pratiques sociales qu’il juge « normales », chaque individu donc, se fait ses propres représentations de ce qui est légitime, non-légitime, beau, laid, bien ou mal.

C’est ainsi que la culture doit être considérée comme une dynamique de transformations successives dans l’histoire de l’Homme en liaison avec les changements socio-politiques et les évolutions techniques qu’il subit ou qu’il initie, selon le cas.

Mais la culture, c’est aussi le reflet d’une domination de classe, car ses valeurs officielles ne sont souvent que celles d’une culture dominante et légitimée, antagonique à une culture dominée dont les valeurs, elles, ne sont pas publiquement reconnues.

C’est ainsi que Chaque individu, doté d’un capital économique, d’un capital social et d’un capital culturel déterminé par son champ social, est forcé d’intérioriser les normes reconnues par le champ dominant pour pouvoir à son tour être reconnu, pratiquant ainsi une sorte d’auto-censure culturelle, assortie d’un comportement ostentatoirement adoubé.

Nous assistons actuellement à une manifestation particulièrement édifiante de ce phénomène lorsque nous voyons certains réfractaires à la vaccination s’y soumettre néanmoins volontairement pour ne pas subir la réprobation sociale d’un cercle plus ou moins rapproché.

Une schématisation classique de la culture consiste à la regarder comme formée de quatre éléments qui sont « transmis de génération en génération », à savoir : les valeurs ; les normes ; les institutions ; et les artefacts.

Les valeurs, ou systèmes de valeurs, comprennent les idées, voire les matériaux, qui semblent importants et incontestables. Les valeurs guident les croyances qui, à défaut d’être fondées sur des éléments factuels et solidement argumentées face aux objections, peuvent rapidement s’assimiler à des mythes.

Les normes, qui sont constituées par les attentes sur la façon dont les personnes doivent se comporter dans diverses situations. Chaque culture a des méthodes, appelées sanctions, pour imposer ses normes. Les sanctions varient avec l’importance de la norme ; les normes qu’une société impose formellement ont le statut de lois.

Les institutions, qui sont les structures de la société, dans et par lesquelles, les valeurs et les normes sont transmises.

Les artefacts, enfin, sont les actions humaines, les manifestations visibles ou aspects extérieurs qui décrivent les valeurs et les normes d’une culture.

Mais nous venons, aussi, de dire que la culture pouvait être multiforme, selon les lieux géographiques et les catégories humaines. Alors, dans ces conditions pouvons-nous identifier des valeurs, des normes, des institutions et des artefacts communs à tous les hommes vivants dans la grande société industrielle installée sur la planète Terre ?

Autrement dit, existe-t-il, du point de vue culturel, un plus petit commun dénominateur à tous les peuples qui la compose ?

Assurément oui, et c’est bien là, l’objet de notre propos de ce jour. Car ce plus petit commun dénominateur, cette valeur commune à tous les peuples de la planète, quelque soit leur race, leur religion, leur niveau de vie ou la caractéristique de leur organisation sociétale, notamment du point de vue du mode d’exercice du pouvoir politique, c’est, naturellement : LA CROISSANCE.

Cette valeur-phare est celle qui prédomine sur toutes les autres depuis l’instauration de la société industrielle, que nous avons suggéré, dans les chroniques précédentes, de dater conventionnellement aux environs des années 1850.

Mais la réalité historique nous force à constater que cette valeur-phare qui guide aujourd’hui les politiques publiques de tous les pays de la planète est, finalement toute récente, parce que, comme nous venons de le dire, datée de 170 ans à peine sur une durée de vie du genre homo sapiens estimée à 300.000 ans,

mais, surtout, force nous est de constater qu’elle s’oppose radicalement à une autre valeur ayant régné pendant ces 300.000 ans, une valeur que nous qualifierons de conservatisme, ou, pour rester en phase avec notre propos, de : « a-croissance » (cad croissance précédée du « a » privatif).

Ce point mérite que nous nous y attardions quelque peu.

Car une question nous vient immédiatement à l’esprit : pourquoi l’homo sapiens a-t-il brisé aussi soudainement sa trajectoire d’état quasi-stationnaire pour adopter une trajectoire radicalement différente, et en y adhérant aussi massivement,  ?

Eh bien , C’est la question à laquelle nous nous efforcerons de répondre dans la prochaine chronique.

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