Une étude rébarbative des innombrables codes législatifs qui nous gouvernent fait rapidement découvrir que la Loi ne puise pas sa source uniquement dans la protection de la société contre les nuisances issues de l’activité et des agissements humains, mais qu’elle couvre une vaste étendue non-dite, dont personne n’est capable de déterminer les limites exactes.
Dans cette optique, la difficile circulation dans la monstrueuse usine à gaz constituée par les 74 codes juridiques, les 11.000 lois et 127.000 décrets n’est pas de nature à éclaircir cet horizon opaque. La lecture concentrée des codes civil, de procédure civile, de commerce, de l’artisanat, des assurances, de l’environnement, des impôts (doté de quatre annexes), des procédures fiscales, du patrimoine, pénal, de procédure pénale, de la route, rural et de la pêche maritime, de la santé publique, des transports, du travail, de l’urbanisme, de la voirie routière, de la construction et de l’habitation, de la sécurité intérieure, de la sécurité sociale, pour les plus courants, n’apporte pour sa part pas davantage de netteté.
Quant au décryptage attentif des codes subsidiaires, tels celui de l’aviation civile, du cinéma et de l’image animée, des communes, de la consommation, de la défense, de déontologie de la Police nationale, de déontologie des agents de Police municipale, de déontologie des architectes, de déontologie des professionnels de l’expertise comptable, disciplinaire et pénal de la marine marchande, du domaine de l’État, du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, des douanes, de l’éducation, électoral, de l’énergie, de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, de l’expropriation pour cause d’utilité publique, de la famille et de l’aide sociale, forestier, de la propriété des personnes publiques, des collectivités territoriales, des instruments monétaires et des médailles, des juridictions financières, de justice administrative, de justice militaire, de la Légion d’honneur et de la médaille militaire, des marchés publics, minier, monétaire et financier, de la mutualité, de l’organisation judiciaire, des pensions civiles et militaires de retraite, des pensions de retraite des marins français du commerce ou de plaisance, des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, des ports maritimes, des postes et des communications électroniques, de la propriété intellectuelle, de la recherche, du service national, du sport, du tourisme, du travail maritime, il ne livre pas de réponse significative à cette question.
Enfin, dernier élément témoignant de la folie actuelle du Droit dans notre société étatique croissante, il faut savoir qu’un code peut atteindre 2.500 pages, que le code général des impôts contient à lui seul 4.000 articles, que plus de 10% des articles d’un même code sont modifiés chaque année et que les amendements parlementaires sont passés de 43.437 entre 1993 à 1997, à 50.957 entre 1997 et 2002, pour atteindre 243.259 durant la XIIe législature (2002-2007).
Par ailleurs, de nombreuses voix de juristes non connus pour entretenir une appartenance à un quelconque courant anti-autoritaire, se sont récemment élevés pour dénoncer une « crise de la loi », et l’ex-président du conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud, l’exprima même dans ses vœux pour l’année 2005. Selon ces éminents spécialistes, pourtant parfaits représentants de la société croissante étatique, []les principaux maux dont souffrirait la loi sont :
- Les lois multiples. Il s’agit de l’inflation législative galopante que nous connaissons actuellement qui est sans doute le pire de tous les maux. Le parlement adopte de multiples lois pour des motifs divers et variés, mais les députés présents ne sont pas tous juristes, les lois adoptées sont donc souvent mal écrites, incompréhensibles ou inapplicables.
- Les lois jetables. Les politiques voulant inscrire leur nom dans le marbre de l’histoire, ils s’empressent de faire adopter une loi qui portera leur nom. Puis on s’aperçoit que la loi a été mal écrite. Il ne reste donc plus qu’à la jeter (le plus souvent elle reste inappliquée).
- Les lois émotives. C’est une tendance forte, voire déferlante qui emporte tout sur son passage. Elle consiste à vouloir légiférer systématiquement dès qu’un problème survient, avant même que les causes du problème soient connues. Une fois l’émotion passée, si la loi a été adoptée, on s’aperçoit souvent, là encore, que prise dans l’urgence, elle a été mal écrite.
- Les lois molles. Aussi appelées « neutrons législatifs ». Ce sont des lois sans contenu obligatoire, qui ne vont donc avoir aucun effet en pratique. Elles sont liées aux problèmes des lois jetables et émotives.
- Lois protectionnistes. Ce sont des lois destinées à protéger des entreprises en les préservant de la concurrence ou de l’évolution inéluctable des sciences et techniques. C’est le cas de la loi DADVSI et de HADOPI que l’on peut assimiler au fameux Locomotive Act anglais.
Dans le même ordre d‘idée, la notion de sécurité juridique est apparue depuis peu, la Cour européenne des droits de l’homme l’ayant , quant à elle, appliqué dans ses arrêts Sunday Times (26 avril 1979) et Hentrich c/ France (22 septembre 1994), en exigeant précision et prévisibilité de la loi. C’est ainsi que la sécurité juridique tend à devenir un véritable principe du droit qui aurait pour objectif de protéger les citoyens contre les effets secondaires négatifs de ce même droit, en particulier les incohérences ou la complexité des lois et règlements, ou leurs changements trop fréquents, créant ainsi un phénomène d’insécurité juridique. Il est à noter qu’en France, pays se proclamant champion de la Liberté, le principe de sécurité juridique ne figure pas explicitement dans la constitution du 4 octobre 1958. Seul figure, par l’intermédiaire de la déclaration de 1789, le droit de sûreté qui s’inscrit dans le préambule de la Constitution. A ce titre, l’article 2 de la déclaration de 1789, place la sûreté parmi les droits naturels et imprescriptibles de l’homme au même titre que la liberté, la propriété et la résistance à l’oppression, sans que nous puissions imaginer raisonnablement que les rédacteurs de l’époque y aient inclus consciemment ce type très particulier d’insécurité.
Mais ces critiques issues du sérail même de la société croissante, ne constituent que la partie visible de l’iceberg qui déchire systématiquement les fragiles coques des esquifs de la liberté individuelle et des barques de l’initiative personnelle. Car l’anomalie profonde et rédhibitoire qui caractérise la Loi, c’est qu’elle ne se fonde sur aucun principe objectif fort, aucun véritable paradigme clair, bref aucune déclaration lumineuse qui ferait que chaque individu saurait instantanément ce pour quoi elle est faite.
Nous ne trouvons dans la Constitution elle même aucun énoncé de principe présidant à la source du droit, c’est à dire déclarant solennellement que les lois sont fabriquées pour défendre telle ou telle valeur humaine, pour protéger la société de tel ou tel danger, pour favoriser l’éclosion et le développement de telle ou telle vertu, voire pour maintenir une logique d’organisation sociale, etc…. etc…. Ainsi l’individu administré par les tables législatives ne dispose d’aucun référentiel pour se rassurer sur la légitimité d’une loi, sauf à s’en tenir à la croyance angélique que l’Etat Tout Puissant agit pour le Bonheur de l’Homme, bien que ce principe ne soit d’ailleurs évoqué dans aucun texte fondateur.
Seul l’article 34 de la constitution traite de la genèse des lois en distinguant trois « paquets » :
1er paquet : La loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ; les sujétions imposées par la défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens; la nationalité, l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités; la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables; la procédure pénale; l’amnistie; la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats; l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d’émission de la monnaie.
Nous trouvons dans ce paquet l’essentiel de ce qui légifère la vie quotidienne de l’individu, à savoir l’exercice de ses libertés, sa famille, sa nationalité et ses obligations militaires, les crimes et délits dont il peu être responsable, et, bien entendu, les impôts qu’il doit payer. Tout y est, ou presque, mais rien n’est dit sur le schéma directeur de la loi, si ce n’est que c’est la Loi qui fixe les règles, donc c’est la loi qui fait la loi. CQFD.
2ème paquet : La loi fixe également les règles concernant le régime électoral des assemblées parlementaires, des assemblées locales et des instances représentatives des Français établis hors de France ainsi que les conditions d’exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales; la création de catégories d’établissements publics; les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’État ; les nationalisations d’entreprises et les transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé.
Nous trouvons dans ce paquet un certain nombre de choses qui rase passablement l’individu de base mais qui intéresse au plus haut point l’Etat Tout Puissant qui établit ici les règles de sa petite cuisine en jouant de l’indifférence générale.
3ème paquet : La loi détermine les principes fondamentaux de l’organisation générale de la défense nationale; de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ; de l’enseignement ; de la préservation de l’environnement ; du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ; du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale.
Nous trouvons dans ce dernier paquet un mot qui éveille tout de suite notre intérêt, celui de principe, mais notre espoir est vite déçu car ce terme figure ici non pas pour dire que la Loi va suivre certains principes, mais pour dire que c’est elle même qui va déterminer les principes qu’elle suivra !….. Et quand nous découvrons qu’il ne s’agit rien de moins que du Droit Civil, du Droit Commercial et du Droit du Travail, c’est à dire tout le réseau sanguin de l’économie, nous pouvons considérer que la messe est dite, tirer l’échelle et aller jouer ailleurs, puisque c’est la Loi elle même qui décidera des principes de base qui seront à la source des lois réglementant le fonctionnement socio-économique de la société.
Sous le couvert d’un respect des Droits de l’Homme opaque et fumeux, la machine législative fonctionne donc à plein régime et rien ne semble devoir freiner son ascension vers des sommets incontrôlables. La résignation générale devant cet état de choses, le relâchement même dans certains cas par saturation des contraintes, ne livrent pas des signes d’inversion de la tendance mais au contraire témoignent d’une acceptation de l’opinion publique qui a définitivement entériné le fait que la société d’opulence était synonyme d’invasion réglementaire. La raison en est sans doute que, dans la société croissante, c’est l’Etat Tout Puissant qui réglemente l’économie, alors que dans le proche futur du déclin industriel, c’est l’individu qui pourrait reprendre en partie les commandes et se débarrasser de l’essentiel du carcan législatif étatique qui l’entrave.