Le processus de la société industrielle, la fameuse croissance, peut être comparé à une combustion. Cette réaction exothermique bien connue des chimistes se caractérise par la réunion de trois éléments : un combustible, un comburant et un activateur dont l’association est symboliquement dénommée « triangle du feu ».
Cette combustion n’est possible qu’en présence de ces trois éléments. Si un seul d’entre eux est retiré celle-ci s’arrête, si un ou plusieurs sont diminués, elle se ralentit. Dans l’exemple simple du feu de bois , les trois éléments sont représentés, dans l’ordre par le bois, l’air et l’allumette
Le développement économique de la société des Temps Modernes, c’est à dire la « croissance » est comparable à une combustion chimique dont les trois éléments seraient la dot terrestre (= le combustible), le consommateur (= le comburant) et le capitalisme (= l’activateur).
Ce triangle infernal, tout comme le feu de bois, ne peut être ralenti, voire stoppé que par la raréfaction, ou l’extinction, de l’un ou plusieurs de ses éléments et, inversement, il ne peut garantir sa survie (ou son développement durable si vous préférez) qu’avec le maintien minimal des trois.
C’est en jouant sur l’un ou l’autre des paramètres de cette équation incontournable que promoteurs et contempteurs de la civilisation industrielle construisent les idéologies contradictoires qui se percutent de front ou se mésallient dans des consensus approximatifs.
Par ailleurs, la mesure absolue et relative de ces variables détermine assez exactement la tendance de tel ou tel discours, programme, projet ou autre feuille de route. Voyons cela d’un peu plus près :
Le combustible de notre civilisation industrielle c’est la « dot terrestre », c’est à dire l’ensemble des ressources fossiles et minérales dites non renouvelables ou finies. Cette variable est frappée d’alignement par Dame Nature qui, après nous en avoir laissé la jouissance pendant quelques décennies, va bientôt nous en priver pour quelques centaines de millions d’années, le temps de reconstituer un stock réutilisable par d’autres futures espèces.
Cette réalité, pourtant fort simple, étant assez difficile à avaler pour les prêtres illuminés de la croissance durable (écologistes politiques compris), ces derniers tentent de contourner le problème et espèrent maintenir un niveau d’approvisionnement en combustible suffisant grâce aux leurs ineffables ressources renouvelables (eau, vent, soleil), énergies miracles (hydrogène, fusion nucléaire, mouvement perpétuel, etc.) et recyclage infini des métaux.
Néanmoins, la réalité la plus probable est une diminution lente mais inexorable de ce combustible, c’est à dire de l’énergie et de la matière utilisables, qui devrait s’amorcer dans quelques années la date précise et le sinus de la courbe décroissante restant encore les seules inconnues.
Le comburant de notre civilisation industrielle c’est le « consommateur », sans lequel la réaction chimique ne peut être entretenue. Cette variable est la cible essentielle des croissants militants qui voient en elle la marge de manœuvre la plus accessible et sur laquelle faire porter tous leurs efforts, mais elle présente l’inconvénient d’interagir dans un sens pas toujours favorable sur d’autres variables, moins essentielles pour maintenir la combustion, mais déterminantes pour d’autres fonctions socio-économiques. On citera pour mémoire le penchant facile consistant à augmenter le volume du comburant en augmentant le nombre de consommateurs, mais le spectre redoutable de la surpopulation vient troubler cette option.
L’activateur de notre civilisation industrielle, c’est le « capitalisme », qui agit comme un dispositif cristallisant la mise en relation des ressources naturelles et du consommateur, et fait ainsi jaillir l’étincelle déclencheuse de la combustion économique. Cette énergie d’activation, contrairement aux deux variables précédentes et également à certaines idées reçues, n’est pas une donnée naturelle et évidente mais procède d’une création artificielle de l’esprit humain et, donc à ce titre, relève d’une nature purement contingente.
Dans notre cas de figure, c’est l’homme lui-même, c’est à dire le consommateur, qui crée l’activateur, c’est à dire le capitalisme. Dans notre triangle du feu illustrant la combustion économique l’activateur est donc produit par le comburant lui-même, qui, en principe, a le pouvoir de le contrôler. Il est donc possible, en théorie, que cette combustion, c’est à dire la croissance industrielle, puisse être autorégulée de l’intérieur par l’action d’une variable sur une autre, contrairement au feu de bois qui ne peut s’accroître ou diminuer que par le fait d’une intervention extérieure.
Eh bien, nous dirons que le devenir de cette combustion est l’enjeu des années du futur proche. Cette combustion peut augmenter, stagner, faiblir ou même s’éteindre, et pour chaque option, l’intervention humaine peut être requise, souhaitée, refusée, voire inutile. Cela nous donne pas moins de seize cas de figure, sans compter les multiples combinaisons possibles entre deux ou plusieurs options, chacune pouvant générer un nouveau paradigme pour la société à venir.
Prenons par exemple l’option « augmentation de la combustion avec intervention humaine requise », cette configuration représente le paradigme d’une civilisation volontariste conduite de main de maître par un Etat-Tout-Puissant faiseur et rectificateur de lois jour après jour, garantissant la Croissance grâce à un effort sans relâche et une attention de tous les instants sur une multitude d’indices économiques.
A l’autre bout de l’hémicycle idéologique siège l’option « fin de la combustion sans intervention humaine » éminente expression du paradigme eschatologique de la fin des haricots quoiqu’on fasse.
Entre ces deux extrêmes, grouille toute une faune aléatoire d’options plus ou moins bâtardes où il est question de ralentir la chauffe un peu, mais pas trop, en mettant en œuvre une intervention législative parcimonieuse, ménageant la garantie d’une certaine liberté individuelle par l’application d’un autoritarisme sensiblement éclairé.
Dans la réalité des choses, Nombreux sont les contempteurs du Capitalisme, mais infiniment peu nombreux sont ceux qui s’y attaquent réellement car, depuis l’implosion du bloc communiste de l’Europe de l’Est et la conversion de la Chine à l’économie de marché, le Capitalisme apparaît comme une donnée inextricable du paysage planétaire, telle une forteresse imprenable érigée par les puissants et dotée de toutes les armes défensives de la technologie moderne, au mieux, soit tel un système ancré dans la nature profonde de l’homme et protégé par le bon sens commun, au pire.
Même les plus farouches zélateurs de la décroissance volontaire, c’est à dire d’un étouffement prématuré de la combustion, n’osent se tourner vers l’option consistant à réduire l’efficacité de l’activateur (c’est à dire l’éradication du capitalisme en tant que système politique) et se focalisent sur la propagande à destination du comburant (le consommateur individuel).
En termes clairs, les décroissants volontaires demandent au consommateur de réduire volontairement et individuellement son activité consumériste dans un environnement où le capitalisme continue, par ailleurs, à activer le feu sans entrave. Ce projet est naturellement voué à l’échec.
Car la combinaison chimique est aujourd’hui optimale : un capitalisme en pleine forme à peine entravé par les actions de pseudo-comploteurs en réalité tous acquis à sa cause (ATTAC, alter-mondialistes, écologistes, etc.) dans le rôle de l’activateur, une dot terrestre encore au sommet du pic et n’ayant pas encore entamée la descente, dans le rôle du combustible, et un consommateur fondamentalement demandeur de croissance (quoiqu’on puisse en dire).
Toutes ces observations témoignent d’un niveau d’activité jamais atteint par le passé. La pseudo crise ressassée dans le discours ambiant n’existe donc pas réellement et n’est relayée par la sphère politico-médiatique que dans le but exclusif de créer le climat d’inquiétude nécessaire à la gestion confortable des peuples, à l’image de la vieille technique ancestrale des princes consistant à cultiver des peurs imaginaires pour mieux apparaître comme seul recours face à elles.
La lucidité de l’analyse économique et sociale, elle, nous conduit à n’envisager la décroissance que sous la forme d’une diminution de la combustion provoquée par la raréfaction contrainte du combustible, à l’exclusion de toute aimable chimère ressemblant de près ou de loin à la modification des caractéristiques fondamentales du comburant par l’action de la magie, ou à la paupérisation de l’activateur capitaliste par la force de la pensée.
La prochaine civilisation devra donc ré-apprendre à se chauffer auprès d’un feu alimenté par une combustion raisonnable et c’est la seule chose qui aujourd’hui revêt une importance véritable.
Avoir cette évidence à l’esprit constitue un préalable nécessaire pour envisager des actions préparatoires et commencer à adopter un comportement de nature à faciliter notre adaptation au changement thermique (à ne pas confondre avec le « changement climatique ») qui devrait intervenir dans quelques temps.
La première tâche qui nous incombera sera de préserver l’équilibre de ce nouveau régime de combustion en réduisant suffisamment la force de l’activateur pour que celui-ci ne mette pas en danger la régularité du feu ou ne l’éteigne pas carrément, à l’image du pompier Red Ader étouffant les incendies de puits de pétrole avec de la dynamite.
Ceci signifie, en termes clairs, que le capitalisme ne sera plus adapté, en tant qu‘activateur de la nouvelle combustion, et qu’il faudra donc le transformer (le plus simple étant de l’éliminer purement et simplement) et de le remplacer par un autre activateur plus approprié à la nouvelle configuration.
Notre premier exercice de nouveau décroissant par la force des choses, sera donc de nous débarrasser du capitalisme devenu cet activateur inutilement dangereux, soufflant hystériquement sur un foyer en voie d’apaisement, au risque de l’emporter dans une bourrasque fatale.
Eradiquer le capitalisme, donc, non pas pour le plaisir ou par idéologie politique, mais dans un souci purement physico-chimique afin d’assurer la bonne carburation de la société décroissante inéluctable, voici qui procède d’une optique nouvelle mais qui ne donne pas pour autant les clefs de son désamorçage, ni le mode opératoire de sa déconnexion.
Cet objectif peut paraître démesuré et sans doute faire sourire plus d’un commentateur patenté mais, il est indissociable de la décroissance. Einstein a dit : « on ne résout pas un problème avec le mode de pensée qui l’a créé ». Cette formule adaptée à la recherche scientifique peut tout à fait s’appliquer à l’économie qui, d’une certaine façon relève de la science, en signifiant que le problème de la croissance (c’est à dire sa faillite inéluctable) ne peut pas être résolu par celui qui l’a créé (c’est à dire le capitalisme).