L’abstention, un outil stratégique majeur pour l’avènement de la vraie démocratie

par Christian Laurut

L’analyse des résultats chiffrés des élections de toutes nature depuis ces dernières années confirme que les citoyens qui rejettent le système représentatif actuel sont bien majoritaires dans le pays.

Ce système représentatif qui réserve l’exercice du pouvoir, et notamment du pouvoir législatif, à un nombre restreint de personnes, doit plutôt être dénommé « oligocratie » (c’est à dire étymologiquement pouvoir d’un petit nombre) au lieu de « démocratie » (qui signifie étymologiquement pouvoir du plus grand nombre, c’est à dire du peuple).

Cette affirmation que les citoyens qui rejettent le système représentatif actuel sont bien majoritaires dans le pays peut surprendre, d’autant qu’elle n’est énoncée dans aucun des grands médias, pour la bonne et simple raison que ces médias appartiennent tous à un petit nombre de familles constitutives du noyau central de cette même oligocratie.

Mais cette affirmation est pourtant exacte du point de vue de l’arithmétique « rigoureuse », que nous savons être peu prisée par les représentants du pouvoir oligocratique et par leurs organes médiatiques affiliés, car ils préfèrent une arithmétique revue et corrigée par eux, en fonction de ce qu’il veulent faire dire aux chiffres.

Mais les chiffres sont têtus, et à chaque consultation électorale, ils mettent les maîtres du pouvoir en face de la réalité : celle d’un rejet majoritaire par le peuple du système politique qu’ils nous proposent, ou plutôt qu’ils nous imposent.

Comment ces chiffres des résultats électoraux sont-ils présentés dans les médias ?

Nous ne nous attarderons pas sur les scores des principaux partis ou candidats dits « de gouvernement » qui ne présentent que peu d’intérêt, parce tous ces partis et candidats sont assis sur les mêmes piliers fondateurs du système économique capitaliste croissanciste que nous connaissons depuis 170 ans, même si certains voudraient le voir prospérer en dehors du traité de Lisbonne, et d’autres au dedans

Nous nous concentrerons donc sur les seuls chiffres dignes d’intérêt, ceux qui portent la voix générale de tous ceux qui rejettent les procédures électorales du système, qui, faut-il encore le rappeler, leur sont imposées et qu’ils en peuvent pas modifier eux-mêmes.

A titre d’exemple, les chiffres bruts du ministère de l’intérieur pour les élections européennes 2019 sont les suivants :

  • Inscrits (= ceux qui ont fait l’effort de se faire inscrire sur les listes électorales) : 47 344 860
  • Votants (= ceux qui se sont déplacés dans les bureaux de vote) : 23 731 215
  • Abstentionnistes (ceux qui ne se sont pas déplacés dans les bureaux de vote) : 23 613 645

Ce qui nous donne bien Votants + Abstentions : Inscrits

Par contre nous apprenons que, parmi les « Votants » il y a

  • Blancs : 552 002
  • Nuls : 524 831

soit 1 076 833 citoyens qui, de façon objective et arithmétique sont à rapprocher des abstentionnistes (ceux qui ne sont pas déplacés) puisqu’ils ne pèseront d’aucune façon sur le scrutin, et cela de façon volontaire et consciente, ce qui signifie au minimum qu’ils éprouvent un non-interêt pour la procédure proposée, et, au maximum qu’ils manifestent un rejet de cette procédure.

1ère rectification :

Les votants, c’est à dire ceux qui acceptent les procédures de votation proposées/imposées, ne sont pas au nombre de 23 731 215, mais au nombre de 22 654 382

Les non votants, c’est à dire ceux qui n’acceptent pas les procédures de votation proposées/imposées sont au nombre de 24 690 478, ce qui fait monter le pourcentage de ceux qui rejettent le système à 52% parmi ceux qui ont fait l’effort de se faire inscrire sur les listes électorales

2ème rectification  :

Si nous sommes dotés d’un esprit libre et d’un minimum de sens critique, nous ne pouvons pas ne pas remarquer qu’il existe une curieuse zone de distorsion entre le nombre des dénommés « inscrits sur les listes électorales » (47 344 860) et le nombre total de la population française (66 992 699).

Mais où sont donc et qui sont donc ces 19 647839 citoyens non comptabilisés, ni en terme absolu, ni en terme relatif ?

Un premier élément de réponse à cette question, c’est naturellement de décompter les moins de 18 ans, qui ne possèdent pas encore le droit de vote, et qui de ce fait ne peuvent pas s’inscrire sur les listes électorales, soit 14.500.000, chiffre qui doit être retiré à 67 000 000, total de la population française pour donner le chiffre de 52 500 000, chiffre bien différent de celui de 47 344 860, qui sert de base à l’établissement des pourcentages entre les votants, non votants, exprimés, non exprimés abstentionnistes, etc..

La réalité c’est donc qu’il y a 52 millions de français non privés de leur droit de vote et pas 47 millions comme on veut bien nous le faire croire, ce qui modifie de façon considérable les pourcentages des non votants, de ceux qui rejettent le système oligocratique et contestent ses procédures électorales.

Le nombre absolu de ces citoyens est donc de 52 500 000 – 22 654 382 = 29 845 618

3ème rectification :

Cette troisième rectification, sans doute la plus importante, porte sur le sens précis du terme abstentionniste et, par voie de conséquence, amorce notre théorie politique de l’abstention au sens large.

En effet, les définitions lexicales du substantif « abstention » et du verbe « s’abstenir » concordent pour désigner l’acte de « ne pas faire quelque chose de prévu». Or, en matière de consultation électorale il est bien clair que tous les citoyens sont conviés à effectuer librement un choix nominatif et que tous ceux qui n’effectuent pas ce choix de leur propre volonté s’abstiennent et sont des abstentionnistes, quelque soit la motivation de leur non-choix.

Cette distinction n’est pas anodine car elle fait grimper le pourcentage relatif de l’abstention vers des sommets beaucoup plus élevés. Par exemple :

  • Européennes 2019 : 57%
  • Premier tour des législatives 2017 :58%
  • Second tour des législatives 2017 : 62%

Ces chiffres sans équivoque confirment une tendance lourde, récurrente et désormais indiscutable dans notre pays.

Cette tendance est désormais devenue une réalité, et cette réalité, c’est que, non seulement ceux qui rejettent le système oligocratique constituent le groupe citoyen le plus important de France en terme relatif, mais que, en plus, ce groupe détient, et très largement, la majorité absolue.

Il importe désormais de conforter et d’améliorer encore cette réalité abstentionniste à chaque élection en poursuivant les 4 objectifs suivants :

  1. Faire en sorte que les tenants du système oligocratique se rendent compte qu’ils sont devenus minoritaires
  2. Développer et diffuser dans le grand public l’idée que les représentants élus sont légaux, mais pas légitimes
  3. Saper en profondeur le socle de crédibilité des élus oligocratiques, sur la base de deux idées-forces : 1. Le projet croissanciste du système actuel n’a pas d’avenir 2. Les citoyens ne veulent plus des procédures électorales qu’on leur impose
  4. Faire émerger progressivement des candidats porteurs d’un projet de transformation institutionnelle en démocratie directe et de gestion de la décroissance inéluctable qui arrive

La tentation du « vote-quand-même »

La plupart des sympathisants de la théorie de la décroissance inéluctable et de la démocratie directe partagent globalement les idées exposées ci-dessus, mais un certain nombre se sent néanmoins irrépressiblement attiré par les urnes à chaque élection, et, à chaque fois pour des raisons circonstancielles plus ou moins sincères, que nous pouvons classer en trois catégories :

  • Le vote particulariste: caractérisé par le fait d’apporter son suffrage à tel candidat qui proposera une mesure particulière qui lui tient à cœur. C’est un vote sincère mais qui valide de fait le système.
  • Le vote utile: caractérisé par le fait de voter pour le candidat le moins pire du point de vue du votant. C’est un vote sincère mais qui est fondé sur l’illusion qu’il existe une différence de fond significative entre le candidat A et le candidat B. Or ce n’est qu’une illusion, et le fait que le votant ne s’en rende pas compte le range objectivement dans ceux qui valident le système
  • Le vote d’imposture: caractérisé par le fait de voter instinctivement pour une famille politicienne dont son imaginaire est imprégné, malgré un discours de façade anti-système. Car c’est bien au pied de l’élection qu’on voit le militant.

Dans les trois cas, ces voix feront défaut au groupe abstentionniste qui est le seul a signifier qu’il refuse volontairement le choix qu’on lui propose.

Traitement des objections

On nous objecte souvent que le fait qu’un citoyen refuse de se prononcer sur le choix qu’on lui propose/impose ne veut pas dire qu’il rejette le système électoral dans son ensemble.

Cette objection est récurrente et se fonde sur les éléments purement subjectifs ou de ressenti en avançant des raisonnements divers et suggérant que ceux qui ne vont pas voter, ou même ceux qui ne se sont pas inscrits sur les listes électorales (5 millions), le font pour des raisons indépendantes de leur volonté ou qui n’ont rien à voir avec le rejet de la procédure.

Certains pseudo-analystes suggèrent même que ces abstentionnistes de fait marquent simplement leur non-intérêt pour les procédures oligocratiques et pas leur désaccord, ce qui, de notre point de vue, ne change rien au fait que celui qui n’est pas intéressé par le mode de validation de la règle coercitive qu’on lui propose retire de fait toute légitimité à cette même règle coercitive qui lui sera imposée une fois validée.

Et c’est sans doute pour cette raison que d’autres analystes, encore plus aléatoires, évoquent sans broncher que ces abstentionnistes seraient possiblement des simples d’esprit.

Nous n’entrerons pas dans ce débat byzantin qui ne repose sur aucune base factuelle et ne fait appel qu’à des présomptions, pour ne retenir que l’objectivité des chiffres bruts et le vrai sens des mots qui nous conduisent à la conclusion que ceux qui refusent de voter signifient bien un refus de la votation telle qu’elle est proposée/imposée par le système en place.